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situation d’un particulier qui mange son capital, tandis que s’il emprunte pour exécuter des travaux dont profiteront les générations futures et accomplir de grandes œuvres nationales, si même il s’endette pour payer une guerre inutile qu’il n’a pas su éviter, il se retrouve, une fois la paix rétablie, en équilibre avec des finances réellement saines.

Les 9 milliards 800 millions de roubles dont la Russie est actuellement débitrice ont reçu les trois emplois suivans : les guerres étrangères qu’elle a entreprises ou subies lui ont coûté 4 milliards 800 millions, dont j’ai donné plus haut le détail jusqu’à 1886 — à elle seule la dernière guerre, avec le Japon, est montée à plus de 2 milliards de roubles ; — les constructions et les rachats de chemins de fer ont absorbé 3 milliards ; enfin les avances aux banques foncières de la noblesse et des paysans — 1 225 millions — jointes au paiement des terres distribuées aux anciens serfs des particuliers représentent 2 milliards.

La moitié du passif est donc gagée : il a pour contre-partie un actif ou des créances dont j’examinerai tout à l’heure le revenu net en traitant de l’exploitation des chemins de fer et de la question agraire. Par conséquent l’État russe n’est pas obligé de prélever, comme l’État français, sur ses recettes ordinaires la totalité du montant des arrérages de sa dette. Ces arrérages eux-mêmes, dans leur ensemble, ne grèvent pas la nation d’une somme bien considérable, si nous les comparons au montant global du budget. Un État qui devrait employer par exemple au service de sa dette la moitié du produit normal de ses impôts, ou même davantage, comme on l’a vu dans les pays qui ont manqué à leurs engagemens, est à la merci d’une crise. Que les emprunts en dette flottante lui deviennent impossibles pour une cause quelconque, il est en danger de faillite.

Ce critérium, fourni par l’expérience, est d’une extrême sensibilité et permet de juger immédiatement la situation financière des différens peuples. Appliqué à la Russie il donne les résultats que voici : déduction faite de ce que l’on peut appeler ses « revenus, » c’est-à-dire ce que lui rapportent ses chemins de fer, ses forêts, ses usines et sa banque d’État, la Russie devait prélever en 1886 pour le service de sa dette, — amortissement compris, — 35 pour 100 de ses recettes d’impôts. En 1903, cette proportion, graduellement abaissée, n’était plus guère supérieure à 11 pour 100. Par suite de la guerre japonaise, elle