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s’est tu, et, lorsqu’on est allé aux voix, l’amendement Constans a été voté par 330 contre 217. Les journaux ministériels ont expliqué depuis qu’il y avait eu surprise ; que l’attitude indifférente de la Chambre, pendant que M. Constans développait son amendement et que M. Berteaux le soutenait, n’avait pas permis de prévoir le vote qui allait se produire ; que le silence du gouvernement venait de sa trop grande confiance dans le bon sens de la majorité. Ce sont là de faibles excuses. L’intervention arrogante de M. Berteaux avait fort nettement caractérisé le mouvement agressif de l’opposition : le ministère s’est abandonné.

Grande victoire pour M. Berteaux, s’il n’en avait pas abusé ; mais, en proie au même démon qui avait égaré M. Combes, il a voulu pousser plus loin ses avantages et battre l’ennemi une seconde fois. Le lendemain du vote, le bruit a couru que le ministère avait réfléchi, qu’il s’était ressaisi et qu’il se proposait de reprendre la question devant le Sénat. Rien n’était plus correct : le gouvernement a le droit incontestable de reproduire devant le Sénat une opinion qui n’a pas prévalu devant la Chambre, et de mettre par là celle-ci en mesure d’en délibérer une seconde fois. Mais on ajoutait que le ministère poserait la question de confiance au Luxembourg, — ce qu’il n’avait pas fait au Palais-Bourbon, où son attitude nonchalante avait donné à croire qu’il n’attachait pas une grande importance à la question, — et, dès lors, M. Berteaux avait bien quelque droit de lui reprocher d’avoir laissé la Chambre s’engager sans l’avoir avertie suffisamment, et de l’obliger ensuite à se déjuger. Quant à lui, il voyait là une humiliation contre laquelle sa dignité se révoltait ! M. Clemenceau y a vu, de son côté, une occasion de réparer la faute qu’il avait commise en s’abstenant pendant la première passe d’armes, et de prendre sa revanche contre M. Berteaux. Interrogé sur ses intentions, il a été d’une netteté parfaite. Jamais son langage n’avait été plus vif, plus ferme, plus tranchant. — « Nous refusons, a-t-il dit, de réintégrer la totalité des fonctionnaires qui se sont mis en révolte contre le gouvernement de la République. Si vous voulez livrer le gouvernement de la République à une organisation anonyme de fonctionnaires irresponsables, qui exerceront une pression dans les bureaux sur le gouvernement et qui l’arracheront au contrôle de la Chambre, nous ne sommes pas les républicains de cette désorganisation-là. Il y a quelque chose d’anarchique dans la situation présente de l’administration française. La République est au suffrage universel, elle n’est pas aux fonctionnaires. Si vous voulez renverser les termes du problème, ayez le