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davantage au véritable, fut chanté par M. Delmas et quelques autres artistes de moindre importance, tous accompagnés de l’orchestre Chevillard, qui, cette année, à cause d’une regrettable indisposition de son chef ordinaire, a passé de mains en mains. Nous avons vu celles de M. Rabaud conduire avec noblesse, avec fermeté, la symphonie en ut mineur d’abord, puis la cantate, ou le poème lyrique, de MM. Paul Reboux et Reynaldo Hahn. Le sujet de Prométhée est de beaucoup le cadre le plus vaste que le musicien délicat des Chansons grises et des Études latines, le compositeur dramatique, moins heureux, de la Carmélite, ait encore essayé de remplir. Il ne l’a pas, tant s’en faut, laissé vide. L’œuvre se joue d’une seule-traite, un peu longue, et tout d’une haleine, un peu courte. Quelques parties faiblissent, ou se dérobent, et la fin est lente à finir. Mais plusieurs pages ont une élégance très noble ; d’autres, une héroïque mélancolie ; d’autres enfin ne sont pas éloignées d’atteindre à la véritable grandeur. Et dans les rythmes et dans les timbres, dans la disposition aussi des voix, on signalerait plus d’une trouvaille pittoresque et d’un effet heureux.

L’exécution chorale de Prométhée triomphant a été quelque chose de tout simplement horrible. M. Delmas a chanté Jupiter d’une voix et dans un style olympien. J’ai moins aimé les autres dieux et les déesses. Aussi bien, depuis trop longtemps, — et les séances du Conservatoire surtout ne manquent jamais d’en fournir la preuve, — il n’y a plus de chanteurs de concert, et de chanteuses pas davantage. Dès que la scène, l’action, le geste manquent à la plupart des artistes, dès qu’il ne leur reste que la musique, il ne leur reste plus rien.

Je me trompe : une cantatrice de concert existe encore. Mme Mysz-Gmeiner a passé de nouveau parmi nous. Oh ! le mélodieux, presque lumineux passage ! « Höre ich das Licht ? » s’écrie Tristan. En écoutant cette voix et ce chant, on croit entendre la lumière. Il n’y a rien de pareil aujourd’hui dans le royaume où demeurent, comme disait Hoffmann, les enchantemens célestes des sons.


CAMILLE BELLAIGUE.