Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire, en ses Pêcheurs de Saint-Jean, bien que ce Saint-Jean fût de Luz, M. Widor s’en est abstenu. M. Pierné, mieux inspiré, n’a presque pas cherché pour sa musique d’autre fond ou d’autre trame.

Nous disons : presque pas. Çà et là nous sentons en effet poindre et fleurir une mélodie où se reconnaît l’invention personnelle et délicate du musicien. Par exemple, ce sont les cantilènes, pleines de tendresse et de pureté, qui flottent la nuit sur le jardin de Gracieuse. C’est le premier thème, expressif et si fort dans sa concision, qui marque d’un signe douloureux la chambre où la mère de Ramuntcho va mourir. C’est la musique aussi, passionnée encore, mais d’une passion désormais contenue et soumise, qui remplit, au lever du rideau, le blanc parloir, encore vide, du couvent d’Amezqueta. Mais ces mélodies, qui sont bien siennes, le compositeur a su les ajuster et les assortir aux mélodies empruntées et transcrites. Il leur a donné comme un air de famille, un goût de terroir, en sorte que, mêlées avec les autres, elles n’étonnent et ne détonnent jamais.

Les autres, et celles-ci mêmes, toutes enfin, qu’elles soient les bienvenues. Premièrement, parce qu’elles sont mélodies, parce qu’elles consistent dans cet élément initial et trop rare aujourd’hui : la succession des notes et non leur combinaison, une seule ligne au lieu de lignes associées. Leur valeur ou leur beauté, de forme ou de sentiment, n’en est pas moindre. Parmi ces thèmes populaires, très peu sont indifférens, presque tous ont du caractère. Il y en a de sombres comme ce peuple basque vêtu de noir, toujours grave, un peu triste et souvent silencieux, qui même à sa gaieté mêle quelque rudesse avec beaucoup de mélancolie. Il y en a de naïfs et dont le charme est fait, à certains momens, de je ne sais quel enfantillage innocent. Et puis quelle fraîcheur, quel repos nous vient de cette musique naturelle, après tant de musique fabriquée et factice ! de cet art primitif, après tant d’œuvres que produit en notre temps un art de civilisation raffinée et presque décadente !

Avec cela, ces élémens primordiaux et très simples, le musicien a su les faire entrer dans l’ordre et comme dans le cercle supérieur de la véritable musique. Ouvrier ingénieux, il a disposé, travaillé, paré, sans la dénaturer jamais, la matière sonore qui s’offrait à lui. Il en a tiré tout ce qu’elle contenait en germe et comme en puissance, harmonisant les thèmes, les colorant par les timbres, les développant quelquefois, habile à dégager, ne fût-ce que du rythme à cinq temps, fort commun dans la musique basque, des propriétés nouvelles et des effets, des élans inconnus.