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D’une manière générale, et d’assez bonne heure, trois principales influences semblent s’être partagé la direction de sa pensée : celle de l’évolutionnisme, celle du pessimisme, celle du positivisme.

Ferdinand Brunetière avait-il, dès sa première jeunesse, fait d’Auguste Comte l’étude approfondie que devait révéler l’un de ses derniers livres ? On en peut douter ; mais ce qui est sûr, c’est qu’il connaissait alors très suffisamment la doctrine, qui, d’ailleurs, s’apparentait avec le tour volontiers réaliste de son esprit, et qui, par Renan, par Taine, par Littré, de tous les points de l’horizon, en quelque sorte, lui arrivait comme l’un des élémens constitutifs de l’atmosphère de l’époque.

Il était né pessimiste, — « car on naît pessimiste, écrivait-il, on ne le devient pas. » — « Et comme si c’était une loi de la nature humaine, — lisons-nous dans l’un de ses premiers articles, — le signe de son imperfection, la marque indélébile de sa perversité foncière… » Quelles expériences intimes l’avaient-elles affermi dans cette conviction profonde ? Nous l’ignorons : mais, sur ce point de doctrine, nous le savons, il n’a jamais varié. Et pourtant, quand il s’exprimait, ainsi, il n’avait pas encore découvert Schopenhauer : un compte rendu du livre de Caro sur le Pessimisme, daté de la même époque, — 1879, — nous le montre encore fort ignorant de l’amère philosophie dont il va devenir un adepte si fervent. Quand, cinq ou six ans plus tard, il aura pris contact avec elle, il ne perdra pas une occasion de la défendre contre ses adversaires, et, avec je ne sais quelle sombre et farouche éloquence, d’en célébrer la haute vertu moralisatrice : l’une de ses premières conférences, en 1886, et qui le révéla comme orateur, fut sur les Causes du pessimisme[1], et il s’y montrait déjà un apôtre enthousiaste de l’Evangile selon Schopenhauer.

Il était aussi, et de longue date, un disciple de Darwin. Un des premiers articles qu’il publia à la Revue Bleue, en 1875, étudiait l’Évolution du transformisme, et il ne cessa pas, depuis lors, de se tenir au courant des théories et des recherches qu’avait provoquées l’Origine des Espèces. La doctrine de l’évolution lui apparaissait dès cette époque comme le dernier produit, philosophique et scientifique à la fois, de l’esprit humain ;

  1. Cette très belle conférence n’a, malheureusement, pas été recueillie en volume, mais elle a été publiée par la Revue Bleue du 30 janvier 1886.