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convention ; il prenait, à bousculer de vénérables légendes, le même plaisir qu’à « éreinter » de mauvais auteurs. Il avait un impérieux besoin de voir clair, de n’être dupe ni des idées, ni des hommes, et de n’admirer qu’il bon escient. Aussi a-t-il, en histoire littéraire, redressé nombre d’idées fausses, de jugemens erronés, et qui se transmettaient d’âge en âge. Toute son érudition n’allait qu’à lui permettre de serrer la réalité de plus près, et de la rendre telle qu’il la voyait. Et il la rendait en effet avec une rudesse de franchise, une brusquerie originale, un dédain des précautions oratoires, une âpreté d’accent qui donnaient à sa critique une saveur, une intensité, et comme une flamme de vie auxquelles, depuis longtemps, en cet ordre d’idées et d’études, on n’était plus habitué. Et assurément, il se trompait quelquefois, comme nous nous trompons tous ; et comme à nous tous, il lui est arrivé de faire pencher la balance en faveur des écrivains dont les idées se rapprochaient des siennes ; mais même dans ses duretés, ou, si l’on y tient, ses « injustices » à l’égard des auteurs qu’il n’aimait guère, il y avait, — ne parlons pas de sa sincérité qui est ici hors de cause, — avec bien des vérités mêlées, un désir d’impartialité, d’objectivité, une liberté de pensée et de langage que ses ennemis mêmes ont plus d’une fois été forcés de reconnaître. Traditionaliste, certes, mais le plus indépendant des traditionalistes, et qui, pour des raisons d’ordre général, consentait bien à se ranger sous la règle, mais qui voulait éprouver les titres de cette tradition qu’il était prêt à défendre, et qui n’a jamais abdiqué l’autonomie de son sens propre, ni aliéné les droits légitimes de son libre jugement.

Ainsi conçues et ainsi pratiquées, la critique et l’histoire impliquaient de toute évidence une philosophie générale, une certaine façon de comprendre non seulement l’art et la littérature, mais l’homme et la vie, dont le logicien qui était en Brunetière ne pouvait manquer d’avoir pris nettement conscience. De fait, il n’était pas homme à ne s’être pas interrogé et à n’avoir point pris, — au moins provisoirement, — parti sur les questions essentielles. « Mais pour les Pensées, écrivait-il un jour, quelle qu’en soit la valeur comme apologie du christianisme, le problème qu’y agite l’âme passionnée de Pascal n’a pas cessé d’être celui qu’il faut que tout être qui pense aborde, discute et résolve une fois au moins dans sa vie. » Ce problème, comment lui-même l’avait-il tout d’abord résolu ?