Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/658

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une escorte de cosaques ou de sowars indiens. Il devient un seigneur parmi les seigneurs de l’Iran, dont il prend aisément les allures ; le patriotisme aidant, sa féodalité s’irrite contre la féodalité adverse. La Perse s’est accoutumée à la lutte des deux influences, et lui doit un équilibre relatif. A commencer par le Shah lui-même, tout ce qui compte dans le pays s’enrôle dans les clientèles russe ou anglaise, si bien que les consuls opposés s’imaginent servir la cause de leur pays, en guerroyant l’un contre l’autre à la tête de leurs dans respectifs. Tout stratagème devient licite pour décomposer ou affaiblir la troupe ennemie : on peut ruiner ses chefs, les attaquer dans leur situation ou leur carrière, si possible détourner leur allégeance. Au besoin, le consulat intéressé offrirait un refuge à ses partisans menacés ; dans un État qui ne connaît point les capitulations et où le statut des Européens repose sur un simple article du traité de Tourkmantchaï, la petite garnison, russe ou indienne, appuie, de sa force, la souveraineté des décisions consulaires. A Téhéran, les deux légations, fortifiées dans des enclos sourcilleux, emploient leur personnel, abondant et divers, à soutenir l’une contre l’autre, auprès du gouvernement royal, les querelles provoquées, dans les provinces, par l’ingénieuse activité de leurs agens. Sous l’impulsion anglaise ou russe, les autorités provinciales se débattent en un perpétuel tourbillon ; une influence les chasse, l’autre les ramène ; si le point d’appui habituel se révèle insuffisant, elles en sont quittes pour réapparaître, ayant sollicité le pardon de l’influence trop négligée. Les tracas de la légation de Russie proviennent des seuls consuls ; la légation d’Angleterre jouit, en outre, du prosélytisme de ses missionnaires nationaux et même des Américains, dont l’ardeur protestante s’impose impitoyablement aux gouverneurs, épargnés par l’action politique. Avec ses préoccupations surannées de prestige et d’influence, la diplomatie européenne en pays d’Orient atteint volontiers le ridicule ; en Perse, elle le dépasse.

Nulle part la rivalité anglo-russe ne se révélait aussi aiguë que sur la route du Séistan. La grande province du Khorassan est une des plus riches de l’Iran, elle se prolonge, en bordure de l’Afghanistan, par une succession de districts, dont les chefs, le plus souvent héréditaires, gouvernent une population mélangée de Persans, de Turcs, d’Arabes et de Béloutches. A l’extrémité se trouve l’oasis du Séistan, où vient se perdre l’Helmend,