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D’ailleurs, les troubles sont chose habituelle à la Perse, et la révolution n’eut qu’à appliquer aux graves questions soulevées les méthodes usitées dans la vie de chaque jour. Aux victimes de l’arbitraire la religion musulmane assure un refuge dans les tombeaux saints : en cas de besoin, la coutume persane dirige les plaignans vers les consulats étrangers ou même les bureaux du télégraphe indo-européen. Le best est une procédure infaillible, dont le but unique est d’amener le pouvoir à composition. Quand la plainte devient collective, en cas d’accaparement de grains par les grands propriétaires ou de renchérissement des denrées taxées par les gouverneurs, la foule s’installe en permanence dans quelque mosquée, décrète la fermeture des bazars, et poursuit la grève jusqu’à pleine satisfaction. S’il y a divergence de vues parmi le peuple, chaque parti choisit pour quartier général un sanctuaire déterminé ; la patience et la force du nombre finissent par entraîner la décision souveraine.

Quand éclata la révolution persane, elle se conforma strictement aux habitudes iraniennes. De nombreux prodromes l’annoncèrent : exaspérés par les exactions de leurs princes-gouverneurs, Recht et Chiraz chassaient deux fils du Shah, ‘Azod-os-Soltân et Choa’-os-Saltaneh. Partout, les troubles se multipliaient, les refuges se faisaient plus nombreux, les gouverneurs avaient la vie plus dure. De cénacles de philosophes, les clubs de derviches se transformaient en comités de politiciens. Dans les principales mosquées, les prédicateurs délaissaient les questions habituelles de religion ou de morale, pour aborder la politique, dénoncer le triste état du pays et les abus du Sadr A’zam, un prince Kadjar, ‘Aïn-ed-Dowleh. Le plus virulent de ces prédicateurs, celui qui s’empara de la foule et mit l’éloquence religieuse au service de la révolution, fut Seyyed Djemâleddîn, Sadrol-Mohakkiqîn, — le chef des véridiques, — un prêtre chétif, la figure émaciée, la barbe rare ; âgé de quarante-trois ans. Fils de mollah, il naquit à Ispahan et fit ses études à Nedjef ; son oncle a Seyyed Ismâ’îl, est le plus fameux moudjtehed de Kerbéla. Il y a huit ans, il revint des Lieux Saints s’établir dans sa ville natale. L’âpreté de ses discours le fit expulser par Zill-é-Soltân ; il eut le même sort à Tauris et à Téhéran. Dans ses traverses, le sanctuaire de Fatèmé à Koum lui servit de refuge ; entre temps, il avait exposé ses idées novatrices dans un livre intitulé Kitâb Lebas-at-Takhwa (le vêtement de pureté). La période révolutionnaire