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Il ne faut point s’imaginer que le parti libéral persan ait été, dès le début, ni très nombreux, ni très fort. Toute la population des campagnes, c’est-à-dire l’immense majorité du pays, échappe aux idées nouvelles ; en revanche, elle est trop apathique pour fournir un concours utile à la réaction. Le désir des réformes n’avait pénétré que dans les grandes villes, surtout à Téhéran, Tauris, Recht et Chiraz, un peu à Ispahan, Kermanchah et Hamadan. Là se groupaient les jeunes gens élevés en Europe, les mollahs réformateurs, et les négocians désireux d’échapper aux vexations des puissans : en tout, quelques milliers d’individus. Aucune organisation ne les unissait, en dehors des sectes et confréries religieuses ; ils n’avaient point de programme, sauf le lointain modèle de la Révolution française. Tauris fut le cerveau, Téhéran le bras ; la Révolution persane n’eut aucun caractère général ; elle se décomposa en une succession de mouvemens locaux. Les grands de la Cour et le clergé officiel étaient nécessairement réactionnaires ; de même les villes où dominait une autorité unique, comme Koum ou Méchhed, et le Sud, où, sous le contrôle des agens anglais, régnait la paix britannique. La bonté naturelle du Shah le portait assurément vers les réformes, d’autant mieux que, le mouvement étant dynastique, le trône n’avait rien à y perdre. A l’exception des plus éclairés, les hommes d’âge se réservaient d’ordinaire ; parmi les grands moudjteheds, les sentimens étaient partagés. Ceux de Téhéran penchaient vers le libéralisme ; ils y voyaient un accroissement de leur rôle de tribuns populaires, qui leur vaudrait sur les masses un surcroît d’influence ; d’avance, ils se savaient soutenus par les moudjteheds des Lieux Saints. Leur initiative valut au clergé la direction du mouvement, et lui imprima son caractère à la fois religieux et national.

La révolution persane fut rapide, non pas violente. Froid et rusé, le tempérament iranien est plus susceptible de cruauté que d’emportemens ; il répugne aux émeutes sanglantes, préférant liquider les situations extrêmes par de discrets assassinats. La finesse nationale comprend merveilleusement la nécessité des temps et la limite des possibilités. Depuis l’ouverture de la période révolutionnaire, les agitations politiques de l’Iran se sont poursuivies au milieu d’un calme remarquable, sans que les Européens, isolés dans le pays, aient jamais pu concevoir la moindre crainte pour leur sécurité.