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naturel à Tauris, puis à Recht et à Téhéran ; en fait, ce fut l’action des musulmans, sujets russes, favorisée par l’anarchie régnant au Caucase, qui détermina la révolution persane.

Les conditions mêmes du royaume exigeaient impérieusement un changement de système. Condamné par les médecins, Mouzaffer-eddîn Schâh allait mourir et le règne néfaste de cet excellent homme s’achevait dans la débâcle financière. Prince doux et faible, il subit, sa vie durant, les fantaisies de ses mignons et de ses domestiques ; l’autorité souveraine s’était énervée entre ses mains ; la Cour avait fait main basse sur les pensions et les domaines. En outre de deux emprunts conclus en Russie, le Trésor avait contracté des obligations à court terme auprès des banques anglaise et russe. L’éventualité des troubles inhérens aux changemens de règne et l’imminence d’une crise financière rapprochaient l’Angleterre et la Russie ; les deux puissances négociaient un arrangement sur le sujet de la Perse. Jamais, depuis la conquête arabe, l’Iran ne s’était vu plus proche d’un irréparable désastre national.

L’Angleterre se trouva là pour soutenir les aspirations révolutionnaires de la jeune Perse et provoquer une action décisive, que la timidité asiatique aurait hésité à entreprendre sans la certitude d’un appui extérieur. Après avoir réglé avec la France les questions d’Afrique, la diplomatie anglaise, désireuse de concentrer son effort contre l’impérialisme germanique, recherchait un accord avec la Russie sur le terrain de l’Asie. Or, quand cette diplomatie, fort experte, envisage le moment venu d’imposer à son interlocuteur la conversation sur une affaire, elle s’emploie sagement à le placer en face d’une situation nouvelle, qui lui fasse sentir à la fois la nécessité d’une entente et, si possible, le néant de ses prétentions. L’Angleterre doit une aussi précieuse liberté d’agir à la force de sa tradition politique et à l’avantage de son insularité. La révolution persane n’eût rien perdu à de moins brusques développemens. Elle dut sa rapidité au seul fait qu’elle rendait inéluctables les négociations anglo-russes ; et ses progrès, désormais irrésistibles, ne peuvent que réduire pour la Russie les avantages du traité intervenu. Le Parlement persan surgit à point pour arrêter son expansion éventuelle dans la zone d’intérêts qui lui devait être reconnue. Et c’est ainsi que le libéralisme persan profita des convenances de l’Angleterre.