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catholicisme, il semble bien que c’en soit le chapitre de la tradition. Serait-ce après cela le calomnier que de faire, dans le développement ou dans la formation de son protestantisme, une part à l’ambition de ne recevoir de loi que de lui-même ? Etiamsi omnes, ego non ! Si quelqu’un n’a jamais admis que l’on pût avoir raison contre lui, ni qu’il eût tort contre personne, assurément c’est Jean Calvin…

S’il y a certes des points délicats, il n’y a point d’obscurité dans le dessein général de Calvin, ni dans ses intentions une fois formées, mais on ne saura jamais comment, dans quelles circonstances, à quelle occasion, sous l’impulsion de quel mobile il a commencé de les former. Il y aura toujours quelque chose d’énigmatique dans les origines de sa résolution… Mais ce n’est pas aussi ce qui fait le moindre attrait, je veux dire le caractère le moins singulier de cette physionomie impassible et fermée. Le « secret » de Calvin, qui a fait en son temps une partie de sa force, continue de le servir encore, et la résistance qu’il oppose à notre curiosité nous inquiète, nous irrite, et finit par nous imposer.


Voilà qui est vu, deviné, pénétré à merveille. N’est-il pas vrai que de telles pages éclairent non seulement une physionomie morale, mais une œuvre littéraire ? Et le livre qui les renferme, et qui, sans parler de tous ses autres mérites, eût été, à sa manière, une histoire des idées religieuses, ce livre ne vaut-il pas qu’on parle de lui comme s’il eût été entièrement achevé ?…


Pendent opéra interrupta ! D’innombrables travaux d’approche, et de multiples ébauches, çà et là, quelques rares œuvres de moindre envergure heureusement terminées, mais les grands édifices rêvés, et déjà commencés, abandonnés là en plein chantier : tel est le spectacle douloureux et mélancolique que nous laisse cette activité d’écrivain qui s’est fiévreusement consumée pendant plus d’un quart de siècle. Telle qu’elle est pourtant, son œuvre se suffit à elle-même, et tous ceux qui savent lire savent qu’elle est l’une des plus considérables et des plus originales de ce temps. Trente-deux volumes, deux brochures, cinq éditions classiques[1], une centaine d’articles

  1. Sermons choisis de Bossuet (Firmin-Didot) ; — Chefs-d’œuvre de Corneille (Hetzel) ; — Boileau, Poésies et extraits des œuvres en prose ; — Pascal, Provinciales, I, IV, XIII ; — Chateaubriand, Extraits (Hachette). Ces éditions, toutes « classiques » qu’elles soient, mériteraient d’être mieux connues du grand public ; et, par exemple, les courtes notices qui accompagnent les Extraits de Chateaubriand sont, à mon gré, ce qu’on a écrit de plus pénétrant et de plus fort sur l’auteur d’Atala depuis les mémorables études de M. Faguet et de M. de Vogué. Sur la conversion de Chateaubriand, sur la conception du Génie du Christianisme, il y a là quelques pages, ou, pour mieux dire, quelques lignes, dont on ne dépassera pas, ce me semble, l’alerte, concise et vigoureuse justesse.