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De quelque façon que l’on entende l’histoire d’une littérature, il y a une partie de la tâche qu’on ne saurait éluder : c’est l’étude directe et positive des œuvres. Mais les œuvres dont la somme compose une littérature donnée sont innombrables : lesquelles doit-on retenir définitivement pour en parler ? Nous avons vu que la méthode évolutive fournissait à Brunetière un moyen non pas infaillible, mais excellent, de distinguer les œuvres qui comptent véritablement dans l’histoire, de celles qui ne comptent pas. Ce départ établi, et ce choix fait, il reste encore à savoir quel procédé adopter pour éviter « qu’à voir défiler triomphalement tant d’auteurs, le sentiment des distinctions et des distances qui les séparent ne finisse par s’y abolir. » Le procédé de composition employé ici par Brunetière est d’une savante et originale ingéniosité. Il est fondé sur cette observation très juste que, parmi les écrivains qui « comptent, » il en est, — et ce sont les plus grands, — qui valent surtout en eux-mêmes, et par leur œuvre propre, et d’autres qui valent presque exclusivement par l’œuvre impersonnelle et collective à laquelle ils ont collaboré. Ces derniers, il y a donc tout avantage, — historique et artistique, — à les absorber en quelque sorte dans les chapitres généraux où l’on étudie les mouvemens d’idées ou de faits auxquels ils ont prêté l’appui de leur personnalité et de leur talent. C’est ainsi que les principaux représentans de l’école lyonnaise, Maurice Scève, Louise Labé, Pontus de Tyard, ont leur place toute marquée dans le chapitre consacré aux Origines de la Pléiade ; que les grands rhétoriqueurs, et Lemaire de Belges, François Ier, Guillaume Budé rentrent tout naturellement dans un chapitre général sur la Renaissance en France. Le terrain se trouve ainsi déblayé pour les rares études d« individualités » d’écrivains que l’historien a finalement réservées comme étant les grandes causes agissantes de l’évolution littéraire : Marot et Babelais, la reine de Navarre et Calvin, Du Bellay et Ronsard, Baïf, Desportes, Du Bartas et Bertaux. Et il s’efforce de proportionner chacune de ces études particulières, — il eût volontiers dit « mathématiquement, » mais nous aimons mieux dire « littérairement, » — à l’importance respective que présente, dans l’évolution générale, chacune des œuvres auxquelles elles sont successivement consacrées.

De cette suite de monographies se détachent, — ou devaient se détacher, — en plein relief, dominant et symbolisant chacune