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sur Saint Vincent de Lérins[1] ; on a moins oublié encore son article : Quand la séparation sera votée, et la fameuse Lettre aux évêques. L’hiver même où il mourut, il se proposait d’écrire son livre projeté sur les Difficultés de croire. Ni les suspicions, ni les aigres critiques, ni même les injures, si elles l’attristaient quelquefois, ne le décourageaient donc, et ne pouvaient le détourner de ce qu’il considérait comme son impérieux devoir de Français et de chrétien.

Mais les Lettres consolatrices, aux heures douloureuses et assombries qui se multipliaient, hélas ! lui offraient un refuge. Il avait promis à un éditeur américain un livre sur Balzac. Ce lui fut une joie de l’écrire pendant l’été de 1905. C’est la seule « monographie, » — j’entends la seule « monographie » détaillée, — et l’un des rares « livres »que nous lui devions. Quelque peu montée de ton à mon gré, — que les « balzaciens » me pardonnent ce blasphème : mais peut-on historiquement admettre que l’on doive immoler à celle de Balzac l’influence de Chateaubriand[2] ? — un peu trop perpétuellement batailleuse aussi, cette Étude n’en est pas moins l’une des plus fortes œuvres de critique qui aient vu le jour depuis les mémorables pages de Taine sur le même sujet. Elle est d’une hauteur de vues, d’une étendue d’information, d’une beauté et d’une puissance de construction ou d’orchestration, — le mot est de M. Edouard Rod[3], — d’une originalité de méthode et de pensée, d’un

  1. Saint Vincent de Lérins, par MM. F. Brunetière et P. de Labriolle, 1 volume de la collection la Pensée chrétienne (Paris, Bloud, 1906). Ferdinand Brunetière ne s’est pas contenté d’écrire pour ce volume une importante Préface : il a mis la main à la traduction du Commonitorium.
  2. Cette observation avait été présentée à Brunetière de son vivant même, et, plus docile à la critique qu’on ne le croit généralement, il y avait fait droit. « Il (Balzac) nous apparaît donc, avait-il écrit, comme l’un des écrivains qui, en France, au XIXe siècle, auront exercé l’action la plus profonde, et à la distance où nous sommes de lui et de ses contemporains, je n’en vois guère plus de quatre ou cinq dont on puisse dire que l’influence ait rivalisé avec la sienne. Il y a Sainte-Beuve, il y a Balzac, il y a Victor Hugo ; il y a Auguste Comte… » Et l’on peut lire encore ce passage à la page 309 du livre. Quand Ferdinand Brunetière publia ce dernier chapitre dans la Revue du 15 mars 1906, je me permis de protester, et de dire que l’auteur du Génie du christianisme ne méritait point peut-être qu’on le sacrifiât à l’auteur d’Eugénie Grandet. La protestation fut entendue ; et on lit en effet dans la Revue (p. 339) : « Il y a Chateaubriand, il y a Sainte-Beuve… »
  3. Dans un article sur le Balzac, à propos duquel Brunetière écrivit à l’auteur ces paroles à retenir : « Vous avez dit, en particulier, sur l’effort d’orchestration ou de composition que le livre représente, et que vous avez su voir, des choses que l’on n’avait pas dites ; et, avec notre sot amour-propre d’auteur, je me demandais quelquefois si je mourrais avant de les avoir lues ou entendues. C’est qu’aussi bien, là peut-être aura été mon principal effort, et, plus baudelairien qu’on ne s’en doute, j’aurai dépensé mon labeur à la recherche et à l’expression de ces correspondances. »