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dans une histoire plus détaillée, il parlerait des lettres de Mme de Sévigné, mais « aux environs de 1734, » et qu’il « y rattacherait cette émulation de correspondance dont on voit en effet qu’à partir de cette date, un grand nombre de femmes d’esprit se piquent. » Mais n’aurait-il pas pu dire quelque chose d’analogue de Saint-Simon ? et l’influence de ce dernier, si elle n’est point capitale, n’est-elle pas assez reconnaissable pourtant dans la formation de l’idéal romantique ? Et enfin, quand ni Mme de Sévigné, ni Saint-Simon n’auraient exercé aucune espèce d’action, et ne devraient jamais en exercer, — la méthode évolutive doit, semble-t-il, réserver aussi l’avenir, l’éventualité d’influences ultérieures, et ce qu’un philosophe appellerait les droits des « futurs contingens, » — n’ont-ils pas mérité, du droit de leur génie d’écrivain, de n’être point proscrits d’une histoire de notre littérature nationale ?


Ah ! n’exilons personne ! Ah ! l’exil est impie !


Les exceptions, dit le proverbe, confirment la règle. Et l’histoire, comme la nature, comme la vie même, qu’elle a la prétention d’imiter, l’histoire doit comporter des exceptions, — surtout en faveur des écrivains de génie.

Mais qu’importent ces objections et ces chicanes ! Le Manuel de l’histoire de la littérature française n’en est pas moins un chef-d’œuvre, Et puisque Ferdinand Brunetière n’a pas eu le temps d’achever lui-même la grande Histoire de la littérature française classique qu’il avait entreprise, et dont le Manuel n’était qu’une première esquisse, — « il n’osait dire la promesse, » sentant déjà peut-être ses forces limitées et sa vie mesurée, — il faut se féliciter qu’il ait pris la peine de condenser en ce livre si riche de substance toute son expérience de critique et d’historien littéraire. J’ose dire que, dans cet ordre d’idées et de recherches, rien d’aussi considérable n’avait paru en France depuis la Littérature anglaise de Taine.

« J’admire donc Darwin et Auguste Comte, écrivait Brunetière un peu plus tard. Je les admire si fort qu’après avoir employé quelque trente ans de ma vie à me les « convertir en sang et en nourriture, » selon le mot d’un vieil auteur, j’ai formé le projet d’en employer le reste à tirer de l’Origine des Espèces et du Cours de philosophie positive les moyens d’une