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modifié le milieu littéraire contemporain, et exercé sur les œuvres ultérieures telle ou telle influence qu’il s’agit d’évaluer à son tour. Le maniement idéal de cette méthode exige du critique qu’il ait constamment présente à l’esprit toute une vaste période d’histoire littéraire, avec ses œuvres non seulement caractéristiques, mais secondaires, et leurs dates respectives ; et cela, certes, est délicat et difficile ; mais il est certain que les résultats obtenus sont loin d’être indifférens. D’une manière générale, la méthode ainsi conçue permet à l’historien littéraire d’être exclusivement un historien littéraire, je veux dire de ne tenir compte dans l’histoire de la littérature que de la littérature elle-même. D’autres, comme Sainte-Beuve ou comme Taine, avaient été des psychologues ou des moralistes, bien plutôt que des historiens littéraires proprement dits ; et la « littérature » leur était souvent un simple prétexte à des considérations « d’un autre ordre. » Pour Ferdinand Brunetière, au contraire, la « littérature » est, comme disent les philosophes, une « fin en soi. » Et assurément, il faisait bénéficier sa critique de tout ce qu’il avait appris d’ « extérieur » à la littérature. Qu’on lise, par exemple, dans le Manuel, l’admirable article sur Pascal, et l’on n’aura pas de peine à reconnaître que les préoccupations nouvelles de l’historien l’ont singulièrement aidé à bien comprendre les Pensées, et à en restituer le « dessein » primitif. Mais enfin, toutes ses connaissances de philosophie ou d’histoire, de sociologie ou d’exégèse, toutes ses expériences morales sont ici subordonnées à l’examen de cette seule question : comment définir, et, sans quitter, ou en quittant le moins possible, le terrain de la littérature, comment expliquer les différences originales qui séparent les unes des autres telles œuvres, ou telles « époques » littéraires successives ? Ramener la question à ces termes, c’est s’obliger soi-même à y faire une réponse d’ordre surtout littéraire.

Et c’est aussi se contraindre à n’intervenir de sa propre personne que le moins possible dans les jugemens que l’on porte sur la valeur respective des œuvres. La détermination des caractères originaux d’un roman ou d’un drame, l’action d’une comédie sur une autre comédie, sont surtout des questions de fait, où les sympathies personnelles, les « pensées de derrière la tête » n’ont, semble-t-il, rien à voir. Ferdinand Brunetière en était fermement convaincu ; il croyait avoir trouvé « le fondement objectif du jugement critique ; » il se flattait que « la grande