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Brunetière n’ait pas proclamé son adhésion complète au dogme catholique. Mais, disait-il lui-même, « je ne crois pas avoir le droit, et dans un sujet d’une telle importance, je crois même avoir le devoir de ne pas m’avancer au-delà de ce que je pense actuellement. C’est une question de franchise, et c’est une question de dignité personnelle. » Les problèmes qu’il avait soulevés sont si complexes, et si délicats, qu’il voulait, et à juste titre, « se réserver la possibilité des reprises et des tâtonnemens. » « Il y a bien des chemins, disait-il encore, qui mènent à la croyance, * et j’en ai exploré, j’en ai parcouru, j’en ai suivi plus d’un : je me suis aussi quelquefois fourvoyé. » Quand d’ailleurs il se demandait, parmi toutes les « raisons de croire, » quelles étaient celles qui avaient eu le plus d’action sur lui, « il me semble, avouait-il, quand je m’interroge, que les raisons morales, ou plutôt les raisons sociales ont été les plus décisives. » Et, précisant encore ce point, il ajoutait :


Je me rappelle avoir lu, dans, la Vie du Père Hecker, qu’après avoir traversé plus d’une secte, — ou, comme ils disent là-bas, plus d’une dénomination protestante, — l’un des plus puissans motifs, l’un des motifs déterminans de sa conversion définitive au catholicisme fut la satisfaction et le frein, le frein et la satisfaction, que le catholicisme lui semblait seul capable de donner à ses instincts populaires et démocratiques. Il avait commencé, vous vous le rappelez peut-être, Messieurs, par être ouvrier boulanger. Ce dur apprentissage de la vie m’a été épargné ! Mais, comme lui, je n’ai trouvé que dans le catholicisme le frein et la satisfaction des mêmes instincts et du même idéal.


Ayant la nuque dure aux saluts inutiles,
Et me dérangeant peu pour des rois inconnus,


je n’ai trouvé que là la justification de la devise [Liberté, Égalité, Fraternité] à laquelle je continue de croire, et dont j’ai tâché de vous montrer, Messieurs, que, si le fondement ne s’en rencontrait que dans l’idée chrétienne, là aussi, et là seulement, s’en pouvait rencontrer la véritable interprétation.


Et enfin, à ceux qui eussent été tentés de trouver que ces « raisons de croire » étaient bien extérieures encore : « J’en ai d’autres, disait-il, j’en ai de plus intimes et de plus personnelles ! » Mais celles-là, il se refusait à les livrer. Il insistait au contraire sur les raisons d’ordre plus général et plus « actuel, » parce qu’il estimait sans doute qu’elles pouvaient avoir prise sur un plus grand nombre d’âmes. C’est qu’en effet, — et toute la