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Poser ainsi la question, n’était-ce pas, — à son insu peut-être, et, qui sait ? sans l’avoir formellement voulu, — n’était-ce pas prendre en quelque sorte l’engagement public de faire tout ce qui dépendrait de lui pour combler l’abîme qui le séparait encore de la foi positive ? C’était, en tout cas, faire acte d’apologiste du dehors. Mieux encore, c’était s’affirmer comme chrétien de désir. Les adversaires ne s’y trompèrent point, et ils s’empressèrent de crier à la conversion. Le mot était à la fois impropre et juste. Ferdinand Brunetière, en effet, ne faisait guère en somme que rassembler, coordonner les résultats de ses études et de ses réflexions antérieures ; et il ne serait pas difficile de retrouver dans ses précédens articles, mais éparses et successives, toutes les idées dont l’article Après une visite au Vatican nous offre pour la première fois la synthèse[1]. Il restait d’ailleurs pessimiste, évolutionniste, positiviste, — et incroyant. En un certain sens, il n’y avait donc rien là de bien nouveau. Mais, ce qui était nouveau, c’était, précisément, de tirer les conclusions des prémisses posées ; c’était de tourner ces conclusions en faveur de l’Eglise ; c’était de les interpréter dans un sens déjà chrétien ; c’était de leur donner une couleur déjà chrétienne, un accent apologétique. Et cela constituait bien un premier pas vers Rome, et, à certains égards, une relative conversion.

Et ce commencement même de conversion, qu’est-ce qui l’avait déterminé ? Sans aller plus loin, sans faire appel à des aveux ultérieurs, nous pouvons répondre ; nous avons déjà, au moins implicitement, répondu. Un homme chez lequel la préoccupation morale et la préoccupation sociale sont prédominantes, chacune des deux aidant et renforçant l’autre : n’est-ce pas ainsi que, si nous avions dû le faire d’un mot, nous aurions à peu près défini Brunetière ? Et ne l’avons-nous pas vu, surtout dans les dernières années, très préoccupé de fonder une morale sur de tout autres bases que l’idée religieuse ? Or, tel n’est plus

  1. Voyez notamment les deux articles A propos du Disciple {Nouvelles Questions de critique), sur Vinet, sur la Philosophie de Schopenhauer et les conséquences du pessimisme (Essais sur la littérature contemporaine). Et rappelons simplement les paroles significatives qui terminent le second article sur le Disciple, et que Brunetière lançait comme un défi à ses contradicteurs : « Et s’ils ne sont pas convaincus enfin qu’il ne saurait y avoir d’acquisition scientifique, — d’observations sur les gastéropodes ou de théorème sur les quaternions, — qui vaillent ce que je demanderai qu’on me laisse appeler la déshumanisation d’une âme, qu’ils le disent ! »