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pouvais, la généreuse initiative ou l’audace apostolique du pape Léon XIII ; mais, bien loin d’être l’un des premiers, j’étais, au contraire, l’un des derniers à le faire, et, à cet égard, je n’ai qu’un regret, — qui est d’avoir trop attendu. Enfin, très sommairement et très discrètement, j’insinuais que le christianisme, en dépit de nos savans ou de nos exégètes, est encore, est toujours une force avec laquelle on doit compter ; et il me semblait ne faire là que constater ce que l’on appelle une vérité d’évidence. Rien de tout cela n’était bien neuf, ni bien extraordinaire.


Il y avait pourtant quelque chose de plus. Tout en réservant formellement certains points, et en particulier « l’indépendance de sa pensée, » tout en se refusant à « opposer la religion à la science, » tout en déclarant que « chacune d’elles a son royaume a part, » il posait tout autrement qu’il ne l’avait fait jusqu’alors la question des rapports de la morale et de la religion, et il reprenait à son compte et commentait avec vivacité le mot célèbre de Scherer : « Une morale n’est rien si elle n’est pas religieuse. » Il allait plus loin encore. « Pour tous ceux donc, disait-il, qui ne pensent pas qu’une démocratie se puisse désintéresser de la morale, et qui savent d’ailleurs qu’on ne gouverne pas les hommes à l’encontre d’une force aussi considérable qu’est encore la religion, il ne s’agit plus que de choisir entre les formes du christianisme celle qu’ils pourront le mieux utiliser à la régénération de la morale, et je n’hésite pas à dire que c’est le catholicisme. » Et il signalait lui-même les principaux points de contact qu’il croyait trouver entre la doctrine catholique et la pensée contemporaine. La conclusion était significative :


Lorsque l’on tombe d’accord de trois ou quatre points de cette importance, il n’y a pas même besoin de discuter les conditions ou les termes d’une entente ; — et elle est faite. Si les bonnes volontés conjurées et continuées de plusieurs générations d’hommes ne suffiront certainement pas pour mettre ces trois ou quatre points hors de doute, ce serait une espèce de crime, et, en tout cas, la plus impardonnable sottise que d’essayer de diviser ces bonnes volontés contre elles-mêmes, ou de les dissocier, pour des raisons d’exégèse et de géologie. Supposé, d’ailleurs, que le progrès social fût au prix d’un sacrifice passager, — qui ne coûterait rien à notre indépendance, non plus qu’à notre dignité, mais seulement quelque chose à notre vanité, — l’hésitation ne serait pas permise. Il faut vivre d’abord, et la vie n’est pas contemplation, ni spéculation, mais action. Le malade se moque des règles, pourvu qu’on le guérisse. Lorsque la maison brûle, il n’est question pour tous ceux qui l’habitent que d’éteindre le feu. Ou, si l’on veut encore quelque comparaison plus noble à la fois et peut-être plus vraie, ce n’est ni le temps, ni le lieu d’opposer le caprice de l’individu aux droits de la communauté, — quand on est sur le champ de bataille.