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en moi un peu moins d’usage du monde à la dédaigneuse sécheresse de mes manières. J’admettais peu de supériorités, mais je n’étais pas assez sotte pour n’en reconnaître aucune. Celle que donnent de grandes vertus, des talens remarquables, la vieillesse, a toujours trouvé en moi l’estime et le respect qui leur sont dus. Je savais donner à ces sentimens une forme cajolante dans mon enfance et coquette dans ma jeunesse, qui flattait d’autant plus que la médiocrité n’obtenait de moi aucun hommage. Je mettais une grande importance à rendre ma maison agréable, et jamais je n’ai mieux fait les honneurs chez moi que lorsque j’avais treize ans. Enfin on jugeait trop sainement la singulière éducation que je recevais et la situation tout à part dans laquelle j’étais placée, pour ne pas me savoir gré d’avoir conservé des manières obligeantes, un langage naturel et le désir de plaire, que je ne rendais jamais assez général pour qu’il pût cesser d’être flatteur.

Chacun ayant pris le parti de ne plus voir en moi une enfant, on me trouvait une personne assez aimable, très singulière, et, par ce dernier motif, jugée avec plus d’indulgence et d’équité qu’il ne s’en rencontre habituellement dans le monde. Ne ressemblant à personne, on ne m’appliquait pas les règles générales. D’ailleurs, on croyait fermement que mon avenir appartenait à la Prusse, et tout Berlin voyait en moi une personne destinée à lui donner de l’éclat et de l’agrément. Le dirai-je ? on plaçait un amour-propre presque national dans mes succès, on se vantait de mes avantages, et j’étais pour tout le monde tellement hors de ligne que je n’ai jamais rencontré pendant huit années ni froideur, ni envie. Rien ne porte autant à la bienveillance que de la trouver partout autour de soi ; aussi je ne me souviens pas d’une seule personne qui à cette époque m’eût inspiré un mauvais sentiment. N’était-ce pas arriver bien mal préparée à la sévérité, à l’injustice des jugemens que la société française s’est plu à porter contre moi ?