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qui excitaient ma curiosité et mon intérêt. Je lui indiquais la distribution des rôles, je dirigeais ses costumes, et entre Mme Unzelmann, lui et moi, nous formions un petit comité dramatique qui me plaisait à l’excès. J’avais une loge à l’année, et il est inutile de dire que j’étais très assidue lorsqu’il jouait. Je l’applaudissais trop dans Wallenstein, je pleurais de trop bon cœur lorsqu’il paraissait dans le Roi Lear, je partageais trop sa propre gaîté dans ses rôles comiques, pour qu’il ne prît pas un plaisir particulier à montrer tout son talent devant moi. Il m’aimait réellement beaucoup ; j’ai des lettres de lui qu’il m’a écrites depuis que je suis en France, dans lesquelles il me pleure de la manière la plus touchante. On m’a souvent répété que je disais les vers allemands à merveille : c’est Iffland qui me les apprenait, et je me plais encore aujourd’hui à retrouver dans ma voix les inflexions que je prenais dans la sienne. Il a obtenu, depuis mon départ, des lettres de noblesse et la croix de l’Aigle rouge. Ces distinctions lui ont été accordées en récompense du rare désintéressement qui le porta pendant les malheurs de la Prusse à engager toute sa fortune pour soutenir le théâtre de Berlin[1].

Il fut, à la même époque, l’objet des plus mauvais traitemens de la part du maréchal Victor. Un prologue et une représentation extraordinaire par lesquels on célébrait habituellement le jour de naissance de la Reine, furent joués, malgré la présence des autorités françaises. Le duc et la duchesse de Bellune, tous deux établis dans la loge royale, montrèrent à cette occasion la plus vive colère. J’étais ce jour-là au spectacle. Le maréchal surtout, indigné de l’air de fête répandu dans la salle, des bouquets que portaient toutes les femmes et des cris de : Vive le Roi ! Vive la Reine ! qui retentissaient de toutes parts, envoya ses aides de camp arrêter Iffland, accusé par lui de fomenter ce qu’on appelait l’esprit de rébellion. Des gendarmes pénétrèrent en même temps dans la salle, mais ne purent contenir le tribut d’amour et de regrets que les habitans de Berlin étaient si heureux d’offrir à leurs souverains absens et malheureux. Je me souviens encore d’un autre jour où l’on donnait Iphigénie en Tauride, pièce dans laquelle on voit sur la scène une statue de Diane. Le duc de Bellune se met dans la tête que cette statue ne

  1. Iffland fut directeur du théâtre de Berlin de 1796 à 1814.