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commun, elle croyait que la seule manière d’ouvrir l’esprit des enfans était de les battre ; et que, pour les rendre sains, il fallait les laisser courir tout nus et les tremper dans de l’eau à la glace. Dans le Nord, et avec des nerfs très irritables, ce régime a failli me tuer. Je ne me tirai de l’imbécillité, à laquelle les coups de cette vieille femme m’auraient infailliblement conduite, que par une révolte ouverte, qui me faisait passer pour fort méchante, tandis que, en vérité, le seul motif de ma colère était le seul besoin de repousser la cruauté, je dirais maintenant la démence dont j’étais victime. Depuis, j’ai pardonné de bon cœur tous les coups de verges dont mon petit corps avait si souvent porté les sanglantes marques ; et même j’ai retrouvé avec assez de plaisir cette pauvre vieille folle qui m’aimait à sa manière, laquelle, Dieu merci, est celle de bien peu de gens.

Cet absurde système d’éducation, les corrections peu réfléchies me rendaient malade et raidissaient de plus en plus mon caractère au lieu de le former. J’étais obstinée, enragée et surtout blessée au plus haut degré des punitions multipliées que l’on m’infligeait, et dont nos domestiques étaient journellement les témoins. Je savais que j’étais l’objet de leur pitié, et ne m’en sentais que plus humiliée ; enfin, je ne crois pas qu’il fût possible de trouver un plus désagréable et plus malheureux enfant que je ne l’étais à sept ans.

Si tout en aimant beaucoup ma mère, en rendant justice à ses rares qualités, en la prisant bien haut et la mettant bien à part, je ne suis cependant jamais arrivée avec elle à des relations précisément filiales, j’en attribue la cause première à ce temps d’oppression dont ma jeune tête lui faisait intérieurement quelques reproches. Je ne pouvais savoir que, jeune et charmante encore, le monde, dont elle avait peu joui du vivant de mon père, l’attirait puissamment ; qu’il était assez naturel qu’une enfant sombre, maussade et qu’on lui dépeignait opiniâtre et méchante, ne méritât pas de sa part beaucoup d’attention et de soins, et qu’il était par conséquent assez simple que je restasse dans un coin à ne me faire aimer de personne. Je sentais vivement que je n’intéressais qui que ce fût ; mais j’étais trop irritée pour faire le moindre frais, la moindre avance ; au contraire, je repoussais avec colère les paroles douces que de loin en loin on m’adressait, car je les croyais dictées par la pitié et non par l’affection.