Page:Revue des Deux Mondes - 1908 - tome 44.djvu/538

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses aînées et épousa le duc d’Acerenza, de l’illustre maison Pignatelli. Les lettres que la reine de Naples[1]écrivit en sa faveur, le zèle officieux de quelques personnes que ma sœur croyait alors de nos amis, la décidèrent. Je n’ai jamais pu trouver à ce mariage d’autre raison que l’importunité à laquelle, à seize ans, ma pauvre sœur ne sut pas résister. C’est à ces différens motifs, si peu suffisans pour faire prendre une résolution dans la seule grande question de la vie des femmes, qu’il faut attribuer le peu de bonheur que mes sœurs ont trouvé dans leur intérieur et l’empressement avec lequel elles ont profité des facilités que leur donnait la religion protestante et les usages de leur pays, pour rompre des nœuds aussi mal assortis que légèrement formés.

Ma mère, après le mariage de ses filles, se trouva séparée des deux aînées qui passèrent plusieurs années à voyager. La duchesse d’Acerenza et moi, nous lui restions ; mais ma mère souvent mécontente de son gendre, et trouvant dans son cœur plus d’inquiétude pour le bonheur de sa fille qu’elle ne voyait dans sa position de moyens de l’assurer, fut au moment d’accepter les propositions d’un second mariage, qui lui furent faites par le duc d’Ostromanie, oncle du roi de Suède et frère du duc de Sudermanie, qui depuis a été roi[2]. Ce prince avait vu ma mère à Karlsbad et avait conservé une impression si forte de sa douceur et de ses agrémens, qu’aussitôt l’année de veuvage révolue, il lui offrit sa main.

Mais je n’avais que sept ans ; mes tuteurs n’auraient pas consenti à me laisser élever en Suède ; d’ailleurs, la rudesse du climat aurait nui à ma faible santé. D’un autre côté, ma mère sentait le bonheur de l’indépendance, d’autant plus complet pour elle, que le testament de mon père et la noble conduite de l’empereur Paul lui avaient assuré un douaire plus considérable que celui de presque aucune princesse d’Allemagne. Toutes ces considérations, parmi lesquelles sûrement sa tendresse pour moi tint la première place, lui firent, après quelques

  1. La reine Caroline, sœur de Marie-Antoinette.
  2. Gustave III, assassiné en 1792 (mars), laissa un fils mineur qui monta sur le trône sous le nom de Gustave-Adolphe IV. Une régence était nécessaire ; elle fut confiée au duc de Sudermanie. Lors de la révolution de 1809, Gustave IV fut banni du royaume et le duc de Sudermanie élu roi par la Diète sous le nom de Charles XIII.