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et à Stockach, le cadet de Sarlat avait fait « avaler son sabre » aux pandours et aux kaiserliks. Alors aussi, les galons, l’épaulette. Au galop de son cheval, l’avancement de Fournier fut rapide, — si rapide même qu’il en ressentit comme un vertige ; sous-lieutenant, lieutenant, capitaine, chef d’escadrons, en moins de deux années :…. un brave assurément !

Oui, certes, un brave, mais de plus, un malin ! En ces jours de jacobinisme, l’habile homme s’était déclaré jacobin, et la jactance de ses principes n’avait point nui à sa fortune… Dès sa vingtième année, deux professeurs de sans-culottisme lui avaient façonné une âme : deux purs entre les purs, un ex-calotin et un chasseur à cheval, Chalier et Labretèche. De Chalier, le Marat lyonnais, si vite panthéonisé dans une urne, les leçons n’avaient pas duré bien longtemps ; mais aux chasseurs de Labretèche, près d’un Léonidas lorrain, l’enseignement s’était prolongé durant plusieurs campagnes. Un sabre vraiment vertueux, ce Bertèche dit Labretèche, traqueur d’aristocrates, pourvoyeur de « Charlot » et de sa faucheuse, féal de Robespierre, aussi incorruptible que l’Incorruptible lui-même ! Quarante-deux cicatrices couturaient le corps de ce dur à mourir, et chef de brigade il promenait dans sa cantine une couronne quiritaire décernée par la Convention. Auprès d’un tel Mentor, Télémaque dut entendre de bien sublimes préceptes. Il en profita, et beaucoup trop sans doute, car après le 9 thermidor, on l’avait destitué…

Destitué pour cause de vertu, de civisme ! Sa morale jacobine avait tout d’abord protesté, furieuse… Mais, bah ! « vivons et aimons, » nous a dit le poète. Et le martyr Fournier était venu s’installer à Paris. La République appartenait, en ce moment, au Directoire ; Barras trônait au Luxembourg, et, délivrée de la Terreur, la France se démenait en un délire de carnaval. À Paris, l’élève de l’austère Bertèche se rua dans le plaisir, mais un plaisir à sa manière : il courtisa la femme sensible, fréquenta les tripots, se gourma dans les balthazars. Compagnon peu commode, moqueur et harpailleur, distribuant la chiquenaude, et n’aimant pas la recevoir, il houspilla les croupiers trop chanceux, et tapa fort sur les Tape-Dur. Les maisons de jeu et les tabagies devinrent, pour ce vaillant, de nouveaux champs de bataille, d’autres sanglans Fleurus. Ses prouesses au café Carchy, un « antre muscadin, » où de bien mignons mirliflores sifflaient