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chariots, augmentaient encore l’assourdissant tapage… Ce jour-là, 5 floréal an X (25 avril 1802), le général-Consul passait, au Carrousel, une de ses revues décadaires, parades du quintidi.

Attirant toujours de nombreux spectateurs, ces parades commençaient d’habitude à midi ; mais les invités, porteurs de billets, devaient avant onze heures être rendus au Château. Sur le quai des Tuileries, devant le pavillon de Flore, on voyait donc, ces matins-là, s’arrêter de nombreuses voitures : calèches aux clinquantes livrées amarante ou jonquille, légers cabriolets à jockey minuscule juché sur l’arrière-train, fiacres monumentaux, les « chars numérotés » de la place publique. Des citoyens de haute importance descendaient de ces équipages : ministres, sénateurs, conseillers d’État, tribuns, législateurs ; des fonctionnaires de toutes broderies, et des magistrats de tous manteaux ; des « jurisconsultes, » avocats, avoués ou notaires, et plusieurs de ces « nouveaux riches, » banquiers et fournisseurs des armées, les potentats de la finance, l’aristocratie, à présent, de la nation régénérée, — les « ci-derrière, » successeurs des « ci-devant… »

Beaucoup de citoyennes se pavanaient parmi ces citoyens : des « merveilleuses » qu’accompagnaient des « agréables. » On était alors au printemps et floréal commençait à vêtir les jardins, à dévêtir « les belles. » Aussi, habillées à « l’enfant, » Delphine et Valérie, Paméla et Clarisse avaient endossé la robe à traîne, tunique « couleur de nos parterres, » aux manches bouffantes, à la taille dessinée sous les seins. Gantées jusqu’aux épaules, elles laissaient avec négligence flotter l’écharpe de cachemire, une pourpre brochée d’or ; des turbans à camées ou des « frissons d’esprit » surmontaient leurs coiffures. La plupart de ces divinités étaient teintes, et les rutilances du blond vénitien coloraient les jeunes chevelures de ces Vénus ou les savantes perruques de ces Junon… Tout aussi merveilleux allaient, se dandinant, les « agréables » dans l’étroit frac marron à boutons de métal, la culotte de satin noir, les bas de soie blanche, les escarpins sans boucle, et portant sous le bras un bicorne à cocarde. D’un « soupçon » de gilet descendaient en cascades les breloques de leurs montres, et d’une mousseline à triple tour jaillissait, souriante, une tête à prétentieuse impertinence. Plus de cadenettes, d’oreilles de chien, de peigne d’écaille dans un chignon postiche, mais la simple Nature ou la Beauté antique : cheveux « en coup de vent » et