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que cette correspondance privée ne fût pas en contradiction avec la correspondance officielle. Et comme lord Tweedmouth lui faisait des signes d’assentiment, il n’a pas pu se retenir de lui donner une leçon probablement méritée. — Le ministre de la Marine me pardonnera cependant, a-t-il dit, si je fais remarquer qu’il y a une autre règle à observer au sujet de ces correspondances quelque peu irrégulières : c’est que, si elles doivent être considérées comme privées, cette intimité doit être rigoureusement respectée. Je crains, dans l’occasion dont il s’agit aujourd’hui, ou que le ministre n’ait trahi lui-même le secret, ou bien qu’il n’ait permis à d’autres personnes de le trahir. Il semble que la correspondance privée en question ait eu un caractère secret dans le même sens que, par exemple, le vernissage du Salon de l’Académie royale des Beaux-Arts peut être considéré comme ayant un caractère d’intimité. — La Chambre des lords a ri ; mais l’opinion n’a peut-être pas été complètement désarmée. Quoiqu’il en soit, l’incident a été clos.

Nous croyons que nos voisins et amis en ont un peu exagéré l’importance. L’empereur Guillaume n’a pas eu contre eux les noirs desseins dont ils le soupçonnent. L’éducation de l’Empereur et son tempérament particulier ne l’ont pas préparé et prédestiné à être un souverain à la manière britannique. Il obéit à des impulsions vives et rapides, successives et quelquefois contradictoires, auxquelles il n’attache peut-être pas lui-même, si ce n’est sur le moment, une importance exagérée. Il n’a pas été élevé pour exercer le pouvoir par l’intermédiaire de ministres responsables devant un Parlement : aussi a-t-il conservé la franchise crue d’un langage mêlé de boutades, pittoresque, incisif, bruyant, qui aurait mis à diverses reprises le monde sens dessus dessous, si on l’avait pris au pied de la lettre, mais auquel le monde s’est peu à peu habitué au point de ne plus en éprouver qu’une émotion atténuée. L’Empereur écrit comme il parle, et sans doute il se demande aujourd’hui pourquoi on s’émeut si fort de ses lettres alors qu’on trouve sa conversation séduisante. Il est allé récemment en Angleterre, où il a passé un mois : il y a produit sur tous ceux qui l’ont approché une impression sympathique. Ce qu’il a écrit depuis à lord Tweedmouth, très vraisemblablement il le lui a dit et répété alors sans que personne en ait pris ombrage ; et il s’est exprimé dans le même style avec beaucoup d’autres hommes politiques, se préoccupant fort peu de savoir s’ils étaient ministres d’aujourd’hui, ou d’hier, ou de demain. Tout cela a plu, et l’Empereur s’est cru autorisé à continuer en passant du procédé oratoire au