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été communiquée au Cabinet, mais que celui-ci avait arrêté avant la réception de la lettre impériale sa décision finale au sujet du budget naval de l’année. La déclaration de M. Asquith n’a pas mis fin à l’incident ; on l’a considérée seulement comme un aveu. Il ne s’agissait pas de savoir si la lettre impériale avait précédé ou suivi l’établissement du budget ; après tout, les plus exaltés seuls pouvaient croire que le ministre de la Marine s’était peut-être laissé influencer par elle ; mais si l’Empereur l’avait écrite, et le fait n’était plus douteux, quelle intention avait-il eue en l’écrivant, sinon d’exercer sur lord Tweedmouth son influence personnelle au profit de l’Allemagne, et par suite au détriment de l’Angleterre ? Le fait paraissait certain : si on se trompait, la publication des lettres pourrait seule le montrer. On a donc demandé avec véhémence, avec passion, que les lettres fussent publiées. Mais pouvaient-elles l’être sans le consentement de l’Empereur ? Et comment le lui demander ? Le procédé ne serait-il pas offensant ? Encore une fois, il s’agissait d’une lettre privée, écrite dans le style le plus familier. Le malheur est que lord Tvveedmoulh l’avait montrée à plusieurs personnes, qui elles-mêmes en avaient parlé à beaucoup d’autres. En pareil cas la discrétion ou l’indiscrétion doit être complète.

Une seconde fois, l’affaire est revenue devant le Parlement, et lord Tweedmouth s’en est expliqué lui-même devant la Chambre haute. Son langage, qui avait été concerté en conseil des ministres, a été plein de convenance et de dignité. — Il est exact, a-t-il dit, que j’ai reçu, le 18 février, une lettre de Sa Majesté Impériale l’empereur Guillaume. Cette lettre m’est parvenue par la poste ; elle avait un caractère particulier et personnel ; le ton en était très amical et n’avait rien d’officiel. Dès que j’ai eu cette lettre entre les mains, je suis allé la montrer à sir Edward Grey, qui m’a déclaré partager mon avis, à savoir que la communication devait être considérée comme personnelle… J’ai la ferme conviction que mon altitude était bonne et qu’elle était conforme à celle que nous voulons tous adopter en vue de maintenir une bonne entente entre l’Allemagne et nous. — Sans doute. Lord Rosebery a tenu à dire que l’alliance cordiale ne devait pas avoir pour conséquence une altitude hostile à l’égard de l’Allemagne, vérité si évidente, et d’ailleurs si incontestée, qu’elle n’avait peut-être pas besoin d’être énoncée avec tant de solennité. C’est lord Lansdowne, l’ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement conservateur, qui a prononcé les mots les plus justes et tiré avec le plus de bon sens et d’esprit la morale de l’incident. Il a admis qu’un souverain étranger pouvait, en certains cas, écrire à un ministre, à condition toutefois