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ne pas la nommer puisque nous n’avons rien à en dire de désobligeant ? — la Bulgarie a fait, pendant ces dernières années, des armemens qui ne sont pas en rapport avec ses ressources normales, et qui les dépassent même de beaucoup. Il en résulte pour elle une charge très lourde qu’elle ne saurait supporter longtemps sans fléchir. Son armée est arrivée à grand prix au degré de force le plus élevé qu’elle peut atteindre dans un pays où tout le monde est soldat : elle est de plus de 50 000 hommes sur le pied de paix et, dit-on, de 400 000 sur le pied de guerre. Si on excepte la Roumanie, il n’y en a pas dans les Balkans une autre capable de contre-balancer celle-là. La tentation de mettre son armée en œuvre peut venir à un prince ambitieux, et encore plus peut-être à un peuple hardiment et froidement résolu : mais il leur faut un prétexte, et c’est à la Porte qu’il appartient de ne pas le fournir. Au milieu de tant de matières inflammables, on voit très bien d’où peut venir l’étincelle qui y mettrait le feu à la première occasion, et l’occasion se présenterait naturellement, fatalement, si les puissances n’étaient pas d’accord avec la Porte, ou si elles cessaient de l’être entre elles. Or on a pu croire, un moment, que l’affaire du chemin de fer de Mitrovitza amènerait un refroidissement, et même un peu plus qu’un refroidissement, entre la Russie et l’Autriche. Beaucoup d’attentions qui paraissaient somnolentes se sont alors réveillées et sont devenues inquiètes. Il est probable que cette situation n’aurait pas pu se prolonger impunément.

La condition première de toute action efficace sur la Porte, et par elle sur les Balkans, étant l’accord absolu des puissances, l’Angleterre fera, nous n’en doutons pas, le nécessaire pour le maintenir. Bien qu’elle soit toujours prête, et quelquefois même très prompte aux initiatives hardies, elle n’entend pas se séparer des autres. Sir Edward Grey a fait, à cet égard, les déclarations les plus catégoriques. « Je ne crois pas, a-t-il dit, qu’une action séparée de ce pays, faite en dehors du concert, serait efficace pour résoudre la question macédonienne… Je suis convaincu que si nous entreprenions une action séparée qui comporterait une action coercitive, nous commencerions bien par la question de Macédoine ; mais personne ne peut dire avec quelle question nous finirions. » Rien de plus vrai. Sir Edward Grey a le sentiment très vif de la corrélation qui existe entre tant de questions que le vulgaire croit indépendantes les unes des autres, de la solidarité d’intérêts qui en résulte entre les puissances pacifiques, et de la nécessité pour elles d’agir toujours de concert. Mais ce concert ne peut être établi et maintenu qu’au prix de concessions