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En ce qui concerne l’Angleterre, il y a un point d’interrogation. L’Angleterre est un pays généreux qui s’intéresse autant que tout autre, et sous toutes les formes, aux progrès de la civilisation dans les pays balkaniques : mais elle a l’esprit pratique et elle croit, suivant une expression à la mode, qu’il vaut mieux « sérier » les questions que de les traiter toutes à la fois, et qu’il est sage de ne passer à une seconde qu’après avoir épuisé la première. Or, la première à ses yeux est en ce moment celle des réformes : elle est posée, il convient de s’y tenir. Elle est posée par le fait que les pouvoirs des commissaires des puissances en Macédoine, arrivant à leur terme, doivent être renouvelés, et qu’ils doivent être auparavant développés et complétés. Nous n’entrerons pas, aujourd’hui du moins, dans les détails de la question. On sait que l’effort de l’Europe a consisté jusqu’ici à mieux garantir en Macédoine, par des organismes appropriés, la sécurité des personnes et l’administration des deniers publics ; mais il reste beaucoup à faire dans ce sens, et notamment à étendre le contrôle des puissances à l’administration judiciaire. Les questions de ce genre passionnent l’Angleterre, quand aucune autre ne l’en distrait. N’est-elle pas la patrie de Gladstone ? Le parti libéral n’est-il pas au pouvoir ? Au surplus, ce n’est pas seulement un parti, c’est le pays tout entier qui, à des degrés divers, s’intéresse aux réformes macédoniennes : le gouvernement, lorsqu’il en poursuit la réalisation, est sûr d’être d’accord avec l’opinion. Voilà pourquoi il a montré au premier moment quelque réserve, sinon même quelque froideur, lorsqu’on lui a parlé de s’associer à la croisade des chemins de fer. — Ne mêlons pas, a-t-il dit, deux choses aussi différentes : les réformes d’abord, les chemins de fer ensuite. — En quoi il aurait eu parfaitement raison si la question avait été intacte. Malheureusement, elle ne l’était plus : l’Autriche avait lancé l’affaire du chemin de fer de Mitrovitza, et soulevé par là une émotion qui n’est pas calmée. Nous sommes convaincus que le gouvernement anglais, s’il a été consulté, ou plutôt lorsqu’il a été consulté par l’Autriche sur ses dispositions au sujet du chemin de fer de Mitrovitza, a déconseillé l’entreprise comme inopportune. Mais, à Vienne, on n’a pas tenu plus de compte de son sentiment que de l’opposition russe. On a passé outre, et on a dès lors créé une situation dont une partie de l’Europe devait se préoccuper et dont l’autre doit par conséquent s’occuper. L’Angleterre ne saurait rester en dehors de ce mouvement. Elle a besoin de donner quelques satisfactions aux autres puissances, si elle veut que celles-ci appuient à leur tour