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personne, — et d’ailleurs on ne cherche pas à le faire, — qu’il n’a été pour rien dans le prêt de deux millions et demi qui vient d’être consenti au sultan Abd-el-Aziz. L’envoi de renforts que le général d’Amade estimait superflus a aussi une signification qui fait naître plus d’une hypothèse. Au même moment, le gouvernement envoie à Casablanca le général le plus brillant, le plus expérimenté, le plus heureux qu’il ait en Afrique, et le représentant le plus qualifié de sa politique au Maroc. Il semble bien qu’il prenne une attitude d’attente ; mais qu’attend-il ?

A l’en croire, il poursuit toujours strictement la même politique, qui consiste à pacifier les tribus des Chaouias et à rétablir l’ordre à Casablanca, rien de moins, rien de plus. Telle est la vérité officielle : la vérité vraie est que deux courans distincts agissent sur le ministère et l’entraînent tour à tour. Ces deux courans correspondent à deux partis, celui de l’extrême prudence et celui de l’action : le gouvernement donne des paroles au premier, et des actes au second. Aujourd’hui, le courant de l’action semble l’emporter : qu’en sera-t-il demain ? Il n’y a pas de pire politique que celle qui obéit à des influences intermittentes et opposées : elle aboutit infailliblement à ne rien faire bien, ou plutôt à tout faire mal. Le ministère hésite, tâtonne, ne prend que des demi-partis, n’agit jamais qu’en sourdine et en se cachant : c’est ce qui laisse l’opinion incertaine. Si on réunit toutefois les symptômes que nous venons d’énumérer, il y a lieu de croire que nous entrons timidement dans une phase nouvelle : nous dirions même sournoisement, si M. Jaurès n’abusait pas de cette expression. Nous faisons toutes réserves sur cette politique ; ce n’est pas celle qu’on nous avait promise. A la vérité, elle n’est encore qu’esquissée, et en quelque sorte marquée de, quelques jalons. Le gouvernement n’y est pas engagé de manière à ne pas pouvoir se reprendre et s’arrêter à propos. Les événemens qu’il attend peuvent ne pas se produire ; d’autres peuvent survenir et lui donner des avertissemens opportuns. Mais, si on en juge par les apparences, quelque chose se prépare que nous ne distinguons pas très bien.

Pourquoi, dira-t-on, ne pas le demander au gouvernement ? La tribune n’est-elle pas ouverte ? M. Clemenceau et M. Pichon ont-ils jamais refusé de répondre aux questions qu’on leur posait ? Sans doute ; et si on prenait au pied de la lettre les réponses de M. Pichon et de M. Clemenceau, jamais gouvernement n’aurait eu une politique plus ferme et plus suivie que la leur. C’est précisément ce qui