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les renforts fussent prêts à être expédiés, il fallait un certain temps pour qu’ils arrivassent à Casablanca et le général estimait que ce temps pouvait être mieux employé qu’à les attendre : il fallait, d’après lui, frapper vite et ne pas laisser les Chaouias sous l’impression qu’ils avaient remporté un demi-avantage. À cette raison s’en ajoutait une autre plus sérieuse encore, à savoir que le général d’Amade dispose d’un matériel de transports qui, déjà insuffisant pour 8 000 hommes, le serait encore plus pour 12 000. C’est à cette insuffisance qu’est due, en partie, la situation périlleuse où s’est trouvée naguère la colonne Taupin : après avoir épuisé ses munitions, elle n’a pas pu se ravitailler sur place et s’est repliée sur Fedala. Il y a une proportion à maintenir entre le nombre d’hommes engagés dans une opération militaire et le matériel qui y correspond : cette proportion n’existe pas au Maroc, et on aggrave l’inconvénient au lieu de l’atténuer lorsqu’on multiplie les hommes sans augmenter d’autant le matériel. Le gouvernement le sait bien : aussi a-t-il fait expliquer par ses journaux que les renforts envoyés à Casablanca devaient seulement servir à la relève de troupes déjà fatiguées et même exténuées. Quoi qu’il en soit, le général n’a pas attendu les 4 000 hommes qu’on lui annonçait pour continuer sa campagne, et il a bien fait ; le résultat a justifié sa tactique, puisque les Mdakra et les Mzab, attaqués vigoureusement, ont été refoulés dans les ravins de Mquarto et des Ach-Ach. Le général d’Amade, qui n’a pas l’habitude de se vanter, dit dans sa dépêche que nos pertes ont été légères et que celles de l’ennemi ont été « énormes. » Il faut espérer que, cette fois, la leçon infligée aux Marocains portera ses fruits. Nous souhaitons que les renforts deviennent inutiles, comme le général d’Amade les a jugés. Cependant rien n’est fini ; la pacification n’est pas faite et nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. Mais abandonnons un moment le général d’Amade pour le général Lyautey.

L’arrivée de ce dernier à Paris devait provoquer un grand mouvement de curiosité et d’attention. Il a semblé, au premier abord, qu’on n’avait pas appelé le vainqueur des Beni-Snassen sans un motif grave et urgent : on assure toutefois que son voyage était chose convenue depuis assez longtemps déjà, et qu’il n’a pas un rapport direct avec les derniers événemens. Au surplus, cela importe peu. Il était naturel que le gouvernement désirât causer avec le général Lyautey, profiter de son expérience des choses africaines et l’interroger sur l’ensemble des opérations militaires. Le général est resté une dizaine de jours à Paris. Il a vu à maintes reprises les membres du