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légendaire dompteur. Et la lecture de ses lettres m’a révélé encore qu’il était loin d’être le seul Anglais qui, au lendemain de la Campagne de France comme de Waterloo, eût eu l’idée de ce pèlerinage quelque peu macabre : car, à chaque pas, le jeune pasteur rencontre des groupes d’Anglais qui, de même que lui, s’en vont de village en village, interrogeant les paysans et les aubergistes, acharnés à ne point perdre un détail des vains efforts, de la défaite et de l’humiliation de l’Empereur.

Des renseignemens historiques ainsi obtenus, et qui remplissent un gros volume de trois cents pages, on comprendra sans peine que la plupart n’aient qu’une valeur assez douteuse : car nombre des témoins questionnés par Edward Stanley ont tâché surtout, évidemment, à bien gagner les pourboires qu’ils attendaient de lui. Mais le recueil de ses lettres n’en demeure pas moins, dans son ensemble, un document très précieux, à la fois pour la connaissance des mémorables événemens que le voyageur a entrepris de reconstituer et pour celle de l’état des villes et des campagnes françaises au début des deux Restaurations. Avec toute la férocité de sa haine pour Napoléon, et toute l’immensité de son mépris pour la France, le futur évoque de Norwich est un homme intelligent, instruit, sachant regarder et écouter ; et c’est aussi, en fin de compte, un brave homme, ouvert à la pitié comme à toutes les émotions généreuses, encore que l’excès de ses préventions patriotiques l’empêche presque toujours d’étendre à la France et aux Français la charité chrétienne que nous le voyons prodiguer à des Cosaques, Prussiens, Belges, et Italiens, à tous les malheureux que le hasard a jetés sur sa route. A quoi j’ajouterai que ses lettres sont écrites d’un style charmant, familier sans vulgarité, et abondent en petites scènes pittoresques qui mériteraient d’être signalées.


Le recueil débute par une série de lettres écrites de France en 1802, à une date où la haine du jeune pasteur pour « Buonaparte » était encore contenue et balancée, dans son cœur, par un mélange de reconnaissance et de respect pour l’homme qui avait délivré l’Europe du terrible cauchemar de la Révolution. Malheureusement, ces lettres, d’ailleurs peu nombreuses, ne contiennent guère de faits bien instructifs. La première est écrite de Rouen, le 11 juin 1802. Stanley est frappé des « marques de pauvreté » qu’il découvre, « aussi bien dans les maisons que chez leurs habitans : » mais tout de suite, il est forcé d’avouer que cette pauvreté est en train de disparaître, et que Rouen, en