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La princesse demande le divorce ; le prince y consent ; Bernier, hésitant, le veut sans le vouloir ; il est dans la situation gênée d’un homme entre deux femmes et qui voudrait bien faire plaisir à l’une, mais sans faire trop de peine à l’autre. Et Loulou, comment va-t-elle s’y prendre pour disputer son mari à sa rivale ? C’est une personne sans éducation et qui joue le tout pour le tout ; elle n’a pas de ménagemens à garder ; elle a la partie belle. Or, elle crie, elle menace, elle supplie ; finalement, elle signe je ne sais quel papier et elle va se tirer un coup de pistolet. C’est tout ce qu’elle a trouvé : le suicide ! Remercions encore l’auteur qu’il ne l’ait pas envoyée se jeter dans la Seine toute proche. La noyade en pareil cas est de rigueur… Mais, qu’en pensez-vous, princesse ? Et voyez-vous l’inconvénient, qu’il y a pour une personne distinguée, à se mettre en tiers dans l’intimité des ménages bourgeois ?

Loulou s’est un peu blessée ; elle en réchappera ; elle achève sa convalescence dans une maison de santé où sa sœur, la princesse, son mari, un tas de gens viennent lavoir. Nous ne doutons pas du rétablissement d’une personne qui reçoit tant de monde. Seule intéressante est la visite de Bernier. Il est venu signifier à la convalescente les arrangemens qu’il a pris pour la vie qu’ils mèneront désormais. Ce sera une vie en partie double : les jours pairs seront consacrés à sa femme, les autres appartiendront à la princesse. Bernier est très correct ; il est d’une correction impeccable ; il sera pour Loulou exactement ce qu’on doit être pour une femme qui s’est suicidée à votre intention et qu’on n’aime plus. Car il ne l’aime plus, et c’est un point sur lequel le doute n’est pas possible. De la pitié, et même une certaine sorte d’affection, Bernier en a encore pour Loulou ; mais de l’amour, c’est autre chose, et c’est quelque chose à quoi on ne peut rien : on aime ou on n’aime pas. Bernier n’aime plus. Tel est le résultat de l’examen de conscience auquel il vient de se livrer devant nous, et devant Loulou. Je ne puis dire à quel point cet étalage de psychologie nous a paru cruel, et déplacé, et inutile. Décidément, quel homme est ce Bernier ? Pourquoi cette forfanterie de sincérité ? D’où vient qu’il prenne ce plaisir néronien à faire souffrir ? Et comme nous l’eussions compris davantage s’il eût protesté de son amour en laissant à la voix, à l’accent, à je ne sais quoi d’indéfinissable et qui ne trompe pas, le soin de le démentir ! Pour conclure, la princesse épousera Bernier, je le crois du moins, et je leur souhaite à l’un et à l’autre bien du plaisir. Un ancien amant vient au secours de Loulou ; c’est un vieux rapin qui n’a aucun talent et qui peut donc garder de beaux sentimens ;