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les vérités extérieures. » Retenez bien ces deux termes : M. Bataille y reviendra sans cesse ; ils enferment toute l’essence de sa définition. « Nous appelons vérités extérieures les apparences exactes et proportionnelles des choses, tout ce qui est tangible et énoncé dans la nature ; c’est aussi bien le langage parlé que le spectacle ambiant… Nous appelons vérités intérieures le secret des êtres, ce qui bouillonne en l’individu et qu’il n’exprime pas directement ; ce sont les raisons profondes et déterminantes, ce sont aussi les sphères inconscientes et agissantes de l’âme. » On pourrait dire les choses plus simplement, mais on n’en pourrait dire de plus justes. D’après M. Bataille, le théâtre doit être réaliste au sens complet du terme, exprimant tout à la fois la réalité matérielle et la réalité morale, et celle-ci par celle-là. L’auteur dramatique doit représenter la société de son temps avec ses mœurs, ses usages, ses travers, son atmosphère de passions, d’idées et de préjugés ; c’est la part de l’observation. Et il doit rendre sensible l’état des âmes, nous faire pénétrer dans leurs replis cachés, nous initier au travail souvent inconscient qui sans cesse déforme et reforme la personnalité : c’est la part de l’analyse. Observation et analyse, c’est tout le théâtre ; et nos auteurs dramatiques se passent trop souvent de l’une et de l’autre.

Je crois que M. Bataille a raison et que sa remarque vient à son heure. A le prendre dans l’ensemble, et en faisant les exceptions nécessaires, le théâtre, depuis une vingtaine d’années, est allé sans cesse en s’éloignant de la vie. La faute en a été d’abord à une mode de littérature brutale qui, comme il arrive toujours, nous a dégoûtés pour longtemps de la littérature vraie. Elle revient pour une bonne part à nous autres critiques, qui craignons comme le feu de faire les pédagogues, au lieu de comprendre que notre unique raison d’être est de représenter le bon sens, et de ramener sans cesse public et auteurs à l’observation du réel, à la nature et au vrai. Voici qu’un écrivain de théâtre prend sur lui de nous suppléer. Il déclare que ses confrères et lui-même ont assez battu les buissons et qu’il est temps de rentrer dans la route commune. Souhaitons que la protestation ne soit pas vaine et qu’elle annonce un retour à ce « réalisme intégral » qui fut tout uniment le réalisme classique.

Il y a pour un auteur un danger à formuler des théories : c’est qu’on les lui applique et qu’on le juge d’après sa propre règle. Nous voici obligés de rechercher si l’auteur de La Femme nue s’est conformé à son idéal. Le sujet est l’histoire d’un peintre qui a épousé son modèle, avec ce qui s’en est suivi. Pierre Bernier a pris dans le ruisseau