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La pièce de Favart est montée avec beaucoup de soin et très joliment jouée. M. Albert Lambert s’est composé un type fort pittoresque de sultan comique et de croquemitaine pour rire ; et M. Berr est tout à fait divertissant en gardien du sérail. Deux sultanes ont plu sous les traits de Mlles Delvair et Lifraud. Mais la troisième a été acclamée. Mlle Lecomte dans Roxelane, c’est l’artiste et le personnage ne faisant qu’un ; nul doute que le rôle n’ait été écrit pour elle. On lui a fait une ovation. Toute la salle pour Roxelane avait les yeux de Soliman.

Les Trois Sultanes sont quelque chose comme un vaudeville où il n’y aurait pas de quiproquos, une opérette où il y aurait de l’esprit. Arlequin poli par l’amour, qu’on a repris pour les débuts de M. J. de Féraudy, est une féerie. La donnée ressemble étrangement à celle du Songe d’une nuit d’été ; ce n’est qu’une coïncidence, mais elle est curieuse. — Et Arlequin, dès qu’il aura de l’amour, se découvrira de l’esprit. C’était sur ce point la manière de voir du XVIIIe siècle. Les romantiques sont venus, et dès lors l’amoureux nous est apparu sous les traits d’une sorte de maniaque possédé par la passion qui fait de lui un fou furieux. Les réalistes ont renchéri : il a été entendu que, pour être amoureux, on en devient parfaitement imbécile. En ce sens, le rapprochement de deux titres est assez suggestif : Arlequin poli par l’amour, disait Marivaux ; Barrière répond par les Jocrisses de l’amour. Il est difficile au surplus de prétendre que Marivaux n’entendît rien à la matière : sa pièce fourmille de jolis traits qui sont déjà du meilleur « marivaudage. » Et devant cette féerie, où le merveilleux et les danses tiennent une place moindre que l’analyse des mouvemens du cœur, on se demande si le genre a beaucoup gagné à devenir le Pied de mouton ou même Geneviève de Brabant.


Aimez-vous les préfaces ? Celle que M. Henry Bataille vient de mettre en tête de son Théâtre complet[1], contient de bonnes indications sur le mouvement de notre théâtre et le sens où il conviendrait de le diriger. L’objet que M. Bataille propose au théâtre, c’est l’imitation de la vérité. Encore faut-il définir cette vérité, dont on avait déjà beaucoup parlé avant lui. « Nous ne voulons point parler d’une vérité superficielle, toute d’apparences, d’un réalisme brutal en effet, aisé à conquérir et qui donne à bon marché au public l’illusion de la vie : celle-là est à l’humanité ce que la carte postale est à Velasquez ; non, nous voulons dire : les rapports des vérités intérieures de l’âme avec

  1. Henry Bataille, Théâtre, 1 vol. Fasquelle.