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huit esclaves noirs, le dîner à la turque, les carreaux, le grand rond de maroquin, les sofas, les tentures, les costumes, pierreries et turbans, cela divertissait. On aimait l’exotisme ; on le prenait pour ce qu’il vaut et on savait bien à quoi il sert : c’est à amuser. Tous ces détails étranges et qui frappent par la nouveauté, sont là pour tirer le regard. Ils flattent la curiosité dans ce qu’elle a de plus frivole et contentent la badauderie. Ajoutez que ces traits de mœurs, ces usages singuliers sont essentiellement plaisans. Il faut qu’ils le soient, puisqu’ils diffèrent des nôtres. Ce qui contraste avec nos habitudes, n’est-ce pas cela qu’on appelle le ridicule ? Songez donc ! Des gens qui mangent sur la terre accroupis comme des sapajoux ! Comment peut-on être Turc ? Quand il serait si simple d’être Français…

Un des avantages de l’exotisme est en effet qu’il souligne l’attrait et le prix des choses de France. Nous nous comparons ; donc nous nous préférons. L’art de l’auteur dans cette pièce turque est de reporter sans cesse notre esprit vers Paris ou Versailles, et d’opposer à la barbarie orientale les raffinemens de notre civilisation. Tout célèbre ici cette douceur de vivre que connut et dont s’enivra cette société de l’ancien régime jetant, à la veille de finir, son suprême éclat.


Point d’esclaves chez nous : on ne respire en France
Que les plaisirs, la liberté, l’aisance,
Tout citoyen est roi sous un roi citoyen.


Ce qu’on prend alors pour de la vertu et qu’on décore du nom de bonté, c’est la facilité des mœurs. L’absence de contrainte est la nouveauté dont on s’enchante. On a rejeté l’ancienne discipline. Libéré, l’esprit s’échappe en mille saillies et se grise de ses propres hardiesses :


… Dans les soupers qu’à Paris on se donne
Sur tout légèrement on discute, on raisonne,
Et l’on n’a jamais plus d’esprit
Que quand on ne sait ce qu’on dit.
Les Français sont charmans.


Ils en étaient persuadés alors, et ils aimaient à se l’entendre dire. Ce dont ils étaient fiers par-dessus tout, c’était de leur galanterie. Entendons-nous bien : cette galanterie à la mode du XVIIIe siècle n’a rien du culte idéal que d’autres âges professèrent pour la femme. Mais il faut orner la vie et passer agréablement ce peu de temps qui aura si