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O passant, sous ce tertre obscur, que l’herbe couvre,
Ayant peiné loin de l’erreur,
Dans son cercueil de hêtre ou sa bière de rouvre
Repose un ancien laboureur.

Simplement, sans regrets et sans mélancolie,
Gagné par le sommeil divin,
Son œuvre terminée et sa tâche accomplie,
Il a quitté ce monde vain.

Et la croix qui s’incline et que la ronce enlace,
Symbole de son humble sort,
Ici-bas désormais indiquera la place
Où gît le vieux paysan mort.

Les bœufs qu’il gouvernait ainsi qu’un tendre père
Et guidait rien qu’en les nommant,
Le chien plaintif au seuil du domaine prospère
Le cherchent encor vaguement.

Les sillons qu’il conquit sur les friches, les choses
Qui connurent son joug aimé
Pleurent encor sa bouche et ses paupières closes
Et son visage inanimé ;

Car, de son éphémère et pacifique règne
Si le prestige est abattu,
La vie, autour de lui, comme autrefois s’imprègne
D’une odeur de mâle vertu ;

Et, fiers comme jadis du labeur exemplaire
Que leur légua l’aïeul humain,
Ses fils, pour honorer sa mémoire et lui plaire,
Ont suivi le même chemin.

Et c’est pourquoi, devant cette fosse ignorée,
O passant ému de ferveur,
Comme si quelque mythe agreste l’eût sacrée,
Longtemps tu contemples rêveur.


LEONCE DEFONT.