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De ma bouche un aveu sort, que je ne puis taire.
Le fraternel frisson, le souffle salutaire,
Cet orage qui fait tressaillir par instans
Les destins les plus las et les plus inconstans
Passe en moi comme un vent d’audace qui m’enivre,
Et retrempé je goûte à la douceur de vivre.


LE VERBE AILÉ


Chante, ô fin laboureur, en guidant ta charrue.
Par un refrain naïf ta vaillance est accrue ;
L’air le plus simple allège et soulage un instant
La tâche qu’enveloppe un murmure flottant,
Lorsque au soleil torride ou dans les brumes denses
Tu veux t’accompagner de rustiques cadences.
En quelque lieu qu’un soc ouvre un sillon, partout
L’universelle ivresse en rythmes se résout.
Les voix de la Nature agrestement unies
Scandent ta mélopée avec leurs harmonies,
Dont s’exhale dans l’aube un souffle avant-coureur.
En traçant les guérets, chante, ô fin laboureur.
Charme tes animaux d’une vieille romance.
Hélas ! le rude effort qui sans fin recommence
Rêve parfois d’un vague et tendre bercement
Qui le repose et qui l’endorme doucement.
Chante ainsi que chanta cette obscure lignée
Dont se prolonge en toi la fierté résignée.
Quand, le soir, tu reviens par les chemins herbeux,
D’une chanson suprême encourageant tes bœufs,
Tes grands bœufs que jamais l’âpre aiguillon ne pique,
Il semble autour de toi qu’une légende épique,
Renaissant du mystère et sortant de l’oubli,
Dans le lointain écho par degrés affaibli,
Tandis qu’à l’horizon l’ombre efface ton buste,
Evoque les vertus de ta race robuste.


ÉPITAPHE


En aucun lieu, des morts la cendre n’est muette,
Qu’en songe écoutent les vivans ;
Et leur pensée avec leur poussière s’émiette,
Eparse à la merci des vents.