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CE QUI CONSOLE


Hors de l’intrigue vile et du lâche mensonge,
Libre, dans la Nature immuable je songe.
Ah ! partir, s’isoler du tumulte odieux,
Écouter les soupirs des arbres, n’avoir d’yeux
Que pour l’azur où court le nuage et, farouche,
Jusqu’à l’heure éclatante où le soleil se couche,
Errer en attendant l’apaisement du soir
Adorable ! Je viens sous un chêne m’asseoir
Et, croyant l’espérance elle-même abolie,
Je contemple la plaine avec mélancolie.
Que m’avez-vous donc fait, orgueilleuses cités,
Pour que je fuie ainsi loin des lieux habités ?
Quelle souffrance ancienne et quel ancien servage
Ont changé l’enfant triste en ce rôdeur sauvage
Qui, gardant un dédain taciturne, mais fier,
N’éprouve qu’amertume aujourd’hui comme hier ?…
Hélas ! la solitude à la longue m’accable.
Je sens peser sur moi le silence implacable
Et, pour m’accompagner jusqu’au bout du chemin,
Irrésistiblement je cherche un être humain.
O joie ! un laboureur surgit, d’allure lourde,
Agreste pèlerin muni de l’humble gourde,
Qui, dirigeant le soc, conduit sans dévier
Deux taureaux frémissans à la voix du bouvier.
Or, l’attelage, au fond du site qu’il anime,
Peuple tout l’horizon de sa forme anonyme,
Et primitif, le groupe austère est si touchant
Qu’il sillonne à la fois ma pensée et le champ.
Le geste obscur d’un seul paysan m’intéresse.
Soudainement ému d’une grave tendresse,
Je reste là, le cœur ouvert à je ne sais
Quel rêve dont les cœurs sont vaguement bercés
Ce rustique tableau charme, attire, captive
Et très longtemps retient ma prunelle attentive.
Tel que l’oiseau, par un clair miroir ébloui,
Fasciné, je regarde et n’aperçois que lui.