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L’ouragan se déchaîne et hurle, lamentable.
Au fond d’un morne enclos, d’où nul ne peut s’enfuir,
Parmi les tourbillons qui leur cinglent le cuir,
Des bœufs épouvantés mugissent vers l’étable.

Les arbres, dont la cime émerge aux horizons,
Se plaignent, gémissant sur des douleurs anciennes
Où mon âme retrouve infiniment les siennes
Quand frissonnent soudain les rousses frondaisons.

Paraissant défier les souffles en démence
D’un geste qui féconde à dessein le guéret,
Sur l’argile qu’hier seule elle labourait
Une femme aujourd’hui dans l’orage ensemence.

Une mâle lueur en ses regards sereins,
Elle jette aux sillons leur nourriture austère,
Et la blessure fraîche encore de la terre
Aspire avidement les innombrables grains.

Sans faillir, bien que rude elle accomplit sa tâche.
L’homme est mort ; les enfans sont trop jeunes. Il faut,
Comme un ardent soldat livre assaut sur assaut,
Agir, marcher, combattre et vaincre sans relâche.

Qu’importe ! Elle se plie à mille soins touchans.
La vaillance transforme en vigueur sa faiblesse.
En vain le vent la mord ou le soleil la blesse,
Son héroïque effort reste empreint sur les champs.

Elle s’obstine et lutte, avec un cœur de mère,
Contre la glèbe hostile et le ciel indompté,
Et savoure peut-être une acre volupté
A vivre pour ses fils une existence amère.

Car, lançant la semence éparse au sol jaloux,
Ses fières mains, ses mains énergiques de veuve,
Qu’endurcit une longue et surhumaine épreuve,
Achèvent les labeurs commencés par l’époux.