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Empourprant un poitrail ou dorant une croupe,
De sa jeune lumière enveloppait le groupe.
Seule, à l’écart, faisant vibrer d’appels touchans
Les sonores échos des vergers et des champs,
Une mère voyait bondir dans la rosée
Deux nouveau-nés vêtus de leur toison frisée.
Sa mamelle arrondie et lourde se gonflait,
Car les jumeaux, certains d’en aspirer le lait,
Sans pitié pour le pis enflé de dures veines,
Folâtraient, comme sourds aux apostrophes vaines
Et comme insoucieux des martyres subis
Pour les agneaux légers par les tendres brebis.
Lasse enfin d’implorer de plaintes incessantes,
Pour apaiser son mal, les deux bouches absentes,
La mère, les regards noyés d’un vague amour,
Contemplait les sauteurs ingénus tour à tour,
Et sans bouger, de peur que n’augmentât sa fièvre,
Indulgente au petit, qui pour jouer se sèvre
Au lieu de se suspendre au pis qu’il doit tarir,
Semblait adorer ceux qui la laissaient souffrir.


LA MÈRE


La jument prisonnière, au passage, a flairé
Son poulain bondissant et depuis peu sevré,
Qui foule la prairie et, d’un sabot agile,
Dans ses courses parfois en fait voler l’argile.
Sous les brancards de chêne et les harnais de cuir,
La bête esclave sait qu’elle ne peut s’enfuir
Et rejoindre celui qui saute, fier et libre,
Crins au vent. Mais soudain, l’air s’émeut, l’écho vibre,
Car, mettant tout son cœur dans un hennissement,
Maternelle, elle parle au petit, doucement.
Puis, la narine ouverte et l’oreille dressée,
L’œil attendri par une instinctive pensée,
Elle jette à nouveau son appel éperdu
Jusqu’à ce qu’en son pré l’enfant ait répondu.