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Si la douleur te rend visite, accueille-la,
Et tes yeux éblouis de chimères divines
Verront mûrir les fruits sacrés que tu devines
A la place où naguère une larme coula.


PRAIRIAL


Faucheur, l’herbe des prés, qui sous ta rude main
S’effondra, l’herbe tendre et fine dont l’arôme
Circule avec la brise errante qu’il embaume,
Tu la rentres ce soir, anxieux de demain.

L’ombre gagne. Tu pars. Le vaste effort humain
S’apaise sur la glèbe immense où nul ne chôme ;
Mais le foin par les chars emporté vers ton chaume
D’un vestige suave imprègne le chemin.

En moi puissent ainsi tant de choses fanées,
Que brusquement trancha la faulx des destinées,
Dans la mort n’exhaler que d’agrestes senteurs ;

Pour qu’aspirant ma vie en ses heures trop brèves,
Plus tard un couple épris de rythmes enchanteurs,
Marche dans le sillage odorant de mes rêves !


RETOUR


Avec les tout petits agneaux qu’elles ont eus,
Qui, de laine frisée et fine encor velus,
Font des bonds innocens et bêlent autour d’elles,
Les mères, les brebis, à leur instinct fidèles,
Dans le soir alangui de baumes frais éclos
Se hâtent vers la ferme et regagnent l’enclos.
Les pis durs et gonflés par l’herbe nourricière,
Elles rentrent dans un nuage de poussière,
Le mufle bas, flairant le repos de la nuit ;
Et seul le vieux bélier brutal qui les conduit,
Malgré l’accablement de la chaude journée,
Redresse fièrement, fièrement encornée
Sa tête, et va songeant qu’en de tragiques jeux
Il provoque au combat un rival ombrageux.