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l’avance. Puis la mode s’y mettrait, le courant s’établirait, l’on se grouperait au Canada par pays, et l’on se ferait signe de loin les uns aux autres. En dix à douze jours on se reverrait. N’oublions pas que ce sont les fils de nos paysans de la Normandie, de la Bretagne, du Poitou, de toute la France qui ont fait le Canada, alors que l’on mettait deux à trois mois pour s’y rendre. Voilà ce que les « nationalistes » se disent, non pas peut-être avec ce détail, mais voilà ce que leur campagne suggère. Ils parlent, eux, au nom des intérêts du Canada ; nous parlons, nous, au nom de ceux de la France : les uns et les autres se confondent.

A entendre certains des ministres et de leurs porte-paroles, les réclamations de ces hommes sont chimériques et vaines : ils ne sont eux-mêmes que « des brandons de discorde » ou bien « des taureaux qui se précipitent dans des magasins de faïence[1]. » Avec sa noble élévation de pensée, sir Wilfrid Laurier est plus équitable envers ses mordans critiques : il leur a conféré le baptême comme grand parti reconnu. Recevant, le 15 octobre dernier, à Ottawa, les étudians en droit de l’Université Laval de Montréal, il leur a dit : « Soyez du parti libéral, du parti conservateur, ou du parti nationaliste, peu importe, mais soyez d’un parti. » Il a fait mieux ; il a prouvé par l’exemple à quel point une opposition intelligente peut être utile à un gouvernement qui a lui-même l’intelligence d’en profiter. Pour donner satisfaction à l’opinion publique, il a fait annoncer, au mois de septembre, par un de ses collègues du ministère que les agences françaises d’émigration seraient portées au nombre de trente-trois[2]. Au mois d’octobre, un jeune avocat montréalais, M. Arthur Geoffrion, a été nommé agent officiel d’immigration à Paris, et on laisse entendre que le gouvernement canadien se propose d’entreprendre dans les pays de langue française une sérieuse campagne de propagande. Il nommerait bientôt dans chaque comté de la province de Québec, comme il l’a déjà fait pour l’Ontario, un agent chargé de répondre aux demandes de main-d’œuvre agricole avec le concours des agences de France[3]. Il

  1. Ce mot malheureux d’un organe « libéral » a été relevé, comme on pense, par le Nationaliste. « C’est vrai, a-t-il dit, et il y a bien des cruches et des pots de vin brisés. » Tel était le ton de la polémique.
  2. Discours de M. R. Lemieux, ministre des Postes, à Nicolet. Il dit que l’on allait porter le nombre des agences de 3 à 33 : nous n’avons pas pu savoir quelles étaient ces trois anciennes, nous n’en connaissons qu’une.
  3. Le Nationaliste du 9 février 1908.