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apercevant un commencement d’application de sa politique naître de son tombeau !


A l’opinion publique, qui se mettait, poussée par « les nationalistes, » à leur demander compte de leur incurie à l’égard de l’émigration française, les ministres fédéraux ont commencé par répondre : 1° que de la France on n’émigrait pas ; 2°que les lois françaises étaient au plus haut point restrictives de l’émigration. De là l’extrême prudence recommandée à l’agent français et d’ailleurs, nous l’avons vu, par lui si scrupuleusement observée.

Sur le premier point, le groupe nationaliste répliqua très justement que sans doute la France, à cause de sa richesse et de son charme infini, en raison aussi malheureusement de sa faible natalité, n’était point un pays de grande émigration, et qu’il n’était point question d’en soutirer chaque année 50 000 hommes, comme on faisait de l’Angleterre. Nulles prétentions n’allaient jusque-là. Mais enfin, en 1906, 7 000 Français ont émigré aux Etats-Unis[1] ; en 1885, le port du Havre a embarqué plus de 50 000 émigrans français pour l’Amérique du Sud, et le port de Marseille plus de 28 000 pour la même destination. Les « nationalistes » malheureusement ne paraissent pas avoir eu connaissance d’une révélation essentielle ; apportée en août 1907, par M, René Gonnard, professeur d’économie politique à l’Université de Lyon et qui a étonné plus d’une personne même en notre pays : dans le manque de statistiques officielles (la France ne tenant pas de comptes exacts pour le départ de ses enfans), cet éminent spécialiste a évalué à un minimum de 15 000 le nombre annuel des Français qui émigrent[2]. De là aux I 500 à 2 000 Français, qui arrivent, bon an mal an, sur le sol du Canada, il y a une marge considérable, qu’il s’agit, par des moyens efficaces, de tendre à diminuer.

La presse ministérielle du Canada s’est hâtée de faire argument de la malheureuse tentative des habitans de l’île Saint-Pierre de Terre-Neuve, qui, découragés de la disette du poisson dans leurs parages, se sentant plus loin de la métropole à la suite de l’accord franco-anglais de 1904 qui diminuait nos droits

  1. Très exactement 6 957.
  2. Revue des Questions diplomatiques et coloniales, 1er août 1907 (p. 145-154). — Le statisticien italien Bodio était arrivé, pour 1905, au chiffre de 14 000 émigrans français.