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l’entrée même sournoise des élémens « non désirables, » selon la commode expression américaine (undesirable). Il suffit d’avoir fait soi-même le voyage de New-York pour savoir quels renseignemens multiples sont demandés à tous les passagers, même à ceux de cabine, par ce pays de la liberté soi-disant illimitée, sur leur origine, leur situation conjugale (Etes-vous bigame ? ), leurs opinions… politiques (Etes-vous anarchiste ? ), le chiffre de leur numéraire et d’où ils le tiennent, etc. Sur les grandes Compagnies transatlantiques, française, allemande ou anglaise, c’est assez, quelque apparence offrit-on d’ailleurs, de se déclarer originaire de l’Italie du Sud, des Balkans ou de l’Asie Mineure pour se voir impitoyablement refuser le débarquement à New-York. Bien qu’une pareille rigueur soit généralement très connue des intéressés, la douane des Etats-Unis trouve encore le moyen d’arrêter plus de 12 000 émigrans par an, 1,13 p. 100 de ceux qui se présentent[1]. Le Canada, pendant la dernière année qui soit complètement publiée (1904-1905), a refusé près de trois fois moins, soit 0,41 pour 100 de ceux qui se présentaient. Il s’effectue donc fatalement en Europe un triage entre les deux destinations de l’Amérique du Nord : la plupart des braves gens qui n’ont rien à cacher se dirigent vers les Etats-Unis, les autres sur le Dominion, et pour peu que les choses marchent de ce train pendant quelques années, le Canada, où va s’amasser l’écume des quais de Londres, de Liverpool, de Naples, deviendra peu à peu la sentine du vieux monde. Il n’est pas permis de bâcler ainsi une patrie.

Un tel mouvement surabondant et indiscret d’immigration, qui parait si contraire aux vrais intérêts du Canada, se produit-il, comme une force fatale, à l’insu du gouvernement fédéral ? ou celui-ci le favorise-t-il, soit en ne l’arrêtant point par des mesures prohibitives, comme le fait son habile voisine, soit même directement, en le désirant, en l’organisant, en le voulant ? Et est-il vrai, comme on le lui reproche, que ce gouvernement d’un pays mixte, français et anglais, favorise nettement l’immigration anglaise au détriment de la française ? ou serait-ce peut-être

  1. Exactement 12 432 pendant l’année 1905-1906 (Annual report of the commissioner general of Immigration).