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traverse ce vrai cœur historique du Canada qu’à tours rapides de pistons de locomotives ou d’hélices, n’apercevant, à la fin d’un voyage exténuant, par les hublots ou les vitres du wagon de « colonist, » que des villes noires, des campagnes vertes ou uniformément couvertes de neige, qui défilent trop lentement à son gré, — pressée qu’elle est d’aboutir au sol où elle doit planter enfin sa lente, ici ou là, peu lui importe. Pour beaucoup de ces hommes hardis, qui ont renoncé à leur patrie et qui s’imprègnent si vite de l’esprit, non pas canadien, mais américain, la patrie, je le leur ai entendu dire, « c’est uniquement l’endroit où ils gagnent de l’argent. » Si les hommes politiques canadiens pouvaient conserver sur ce chapitre quelques illusions, qu’ils fassent donc causer librement l’un de ces nouveaux habitans du Dominion, de ceux du Far-West, qui, voisins des Etats-Unis, dont ils ne sont séparés que par la frontière toute théorique du 49e parallèle, soul obligés de mettre trois, quatre, cinq, six ou sept jours consécutifs de chemin de fer, avec autant de nuits, pour venir à la capitale commerciale du Canada, Montréal, à sa capitale historique Québec, ou à sa capitale politique Ottawa, et qu’ils les interrogent sur leurs sentimens canadiens. Pour moi, j’entends encore l’un des grands éleveurs du pied des Rocheuses, Français de France par l’origine et par le cœur, me dire au mois d’avril dernier : « Nous vendrons mieux nos produits au marché de Chicago quand nous n’aurons plus de taxes de douanes : aussi nous appelons de tous nos vœux une annexion aux Etats-Unis, et nous pensons tous de même dans la Province. » Que l’on juge du langage des colons anglais ou des colons américains qui n’ont fait, eux, que monter un peu plus au Nord, de la prairie américaine épuisée, dans la jeune prairie canadienne.

Les Etats-Unis semblent bien avoir contribué à entraîner leurs voisins, par une sorte de contagion de vertige, dans le tourbillon de la grande immigration. Mais eux-mêmes, qui furent si largement ouverts aux émigrans, n’accueillirent 300 000 étrangers par an, ce qui est le chiffre actuel de l’immigration canadienne, que le jour où ils furent… 50 millions. L’un des publicistes du « nationalisme » l’a fait très justement ressortir[1]. Comment un peuple dix fois moins nombreux peut-il prétendre

  1. M. Pierre Beaudry (Nationaliste du 1er septembre 1907 et passim).