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« frères » et de « sœurs » les oiseaux du ciel et les fleurs de la terre, ces artistes dont la légion commence à Gentile da Fabriano pour finir au Pérugin et à Raphaël. De Gentile, Michel-Ange disait qu’il avait la main semblable au nom, et Vasari déclare à son tour que nul n’égala jamais le Pérugin pour la grâce du coloris. Qualités d’harmonie plutôt que de force, voilà ce qui caractérise aussi bien le talent de ces maîtres que les paysages qui se glissent parfois dans le fond de leurs tableaux.

Ils s’y glissent timidement, presque furtivement, comme des accessoires, parce que les hommes de ce temps n’avaient pas encore « découvert la nature, » et que l’école des Corot et des Millet appartenait aux futurs contingens. Sans quoi, le Trasimène serait dès lors devenu aussi populaire en Italie que le sont parmi nous la forêt de Fontainebleau et les bois de Ville-d’Avray, car il est, à n’en pas douter, ou devrait être le lac des paysagistes, moins parce qu’il offre à profusion des « sujets de tableaux, » qu’en raison des effets singuliers de lumière et de couleur qui se manifestent à sa surface et sur ses bords. C’est un spectacle que les pays méridionaux offrent rarement et ceux du Nord jamais, parce qu’il provient à la fois de la moiteur de l’air et de l’éclat victorieux du jour. Les abords du Trasimène disparaissent fréquemment, à l’aube, sous un épais voile blanc, le brouillard de Flaminius. Puis, à mesure que le soleil pompe l’humidité, les buées s’élèvent, s’envolent, se volatilisent, tout en laissant flotter derrière elles une légère vapeur d’eau impondérable, mais susceptible de retenir un moment les rayons solaires. De là, des colorations qui atteignent leur maximum d’intensité aux approches du crépuscule, alors que l’astre du jour traverse l’atmosphère de ses rayons obliques. Ce phénomène ne se produirait pas si, comme tant d’autres, le lac était fermé de tous les côtés, ou même s’il était ouvert au Nord, au levant ou au Midi. C’est au voisinage immédiat de la Val di Chiana, que le Trasimène doit son principal attrait.

En entrant dans la canicule, le Trasimène s’endort d’un sommeil léthargique. Rien ne se meut plus, rien ne semble plus vivre à sa surface. Pendant des semaines et des semaines, c’est à peine si quelques nuages furtifs, légers flocons d’ouate, traversent le ciel embrasé. Une vapeur qu’on dirait immatérielle, tant elle est insaisissable, flotte, dans l’atmosphère immobile. Lorsque la rame des mariniers s’abat sur l’onde, on a de loin la sensation qu’elle déchire une étoffe de soie aux reflets chatoyans ;