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rappellent les fresques de Caprarola et, à ce propos, on a sujet de s’étonner que Vasari, qui s’est extasié sur celles-ci, n’ait même pas mentionné celles-là. Artistes de la décadence, les Zuccari tombent dans la plus désolante affectation lorsqu’ils traitent des scènes religieuses, mais ils se relèvent aussitôt qu’ils abordent le genre historique, parce qu’ils peignent leurs personnages d’après nature et qu’ils conservent le sens de la décoration. Les tableaux sont accompagnés d’inscriptions latines qui les expliquent ; l’un d’eux montre Ascanio della Cornia, le neveu de Jules III, combattant à la bataille de Lépante.

Un corridor voûté, long de cent cinquante mètres, construit sur le faîte des remparts, relie le château à la forteresse. Il aboutit à la plate-forme d’une tour d’où la vue embrasse l’ensemble de la rocca. En bas, une cour irrégulière, depuis longtemps abandonnée, envahie par une végétation luxuriante comme les « latomies » de Syracuse, profondément encaissée entre de hautes murailles tapissées de lierre. De distance en distance, le sommet d’autres tours reliées entre elles par un chemin de ronde. L’une de ces tours, la plus haute, attire les regards par la singularité de son architecture ; elle est triangulaire, munie de créneaux et de mâchicoulis.

Sur la rive opposée du lac, Monte del Lago, San Feliziano, Passignano étincellent au soleil. Plus loin, Maggione, ville plus importante, qui a donné le jour à un de ces voyageurs intrépides qui ont fait l’admiration de leurs contemporains, Fra Giovanni di Pian di Carmine.

Les gestes du moine composeraient sans doute le livre le plus attachant qui soit au monde si les réflexions et les détails qu’on goûte le plus aujourd’hui accompagnaient son récit. Le pape Innocent IV redoutait, avec tout l’Occident, une incursion des Tartares ; il résolut de tenter un effort suprême pour arrêter Gengis Khan qu’on se représentait comme à la veille de réduire les royaumes chrétiens en poudre et leurs habitans en servitude. Fra Giovanni fut choisi pour se rendre en Tartarie, comme ambassadeur du pontife. Les lettres qu’il reçut portent la date du 5 mars 1245. Au milieu de 1246, le religieux quitte l’Italie et traverse tour à tour la Bohême, la Pologne, la Russie, la Moscovie. Après des épreuves sans nombre dans une contrée barbare à peine peuplée et aux trois quarts inconnue, il arrive à Cuyné, le 2 juillet 1247. Il y avait un an qu’il voyageait !