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en quoi il faisait preuve d’une grande légèreté de jugement, car c’est le Sénat qui allait sauver la République. Voyant Hannibal marcher vers le Sud, il crut Rome en danger et courut à la poursuite de l’ennemi.

Dans la prévision de ce mouvement, le Carthaginois avait cherché et choisi avec sagacité le terrain de la rencontre qu’il prévoyait. Polybe et Tite-Live s’accordent pour assurer qu’il avait reconnu, entre les montagnes de Cortone et le Trasimène, la présence d’un défilé long et étroit qui débouchait dans une plaine entourée de collines. « C’est là, écrit l’historien latin, qu’Annibal vint camper dans la partie découverte ; il s’y tiendra avec les Africains et les Espagnols. Les Baléares et les autres troupes légères sont embusquées derrière les montagnes. La cavalerie, protégée par quelques éminences qui la couvrent, occupe la gorge même des défilés, afin qu’au moment où les Romains paraîtront, cette cavalerie leur ferme le passage et qu’ils se trouvent enveloppés de toutes parts entre le lac et les montagnes. »

Si clair qu’il paraisse, ce récit a soulevé des discussions sans fin. Il s’en faut qu’on tombe d’accord sur le lieu précis de la rencontre. La plupart des commentateurs de Polybe et de Tite-Live admettent que le choc se produisit entre les villages modernes de Borghetto et de Passignano, situés à environ dix kilomètres l’un de l’autre, aux deux extrémités de la plaine en demi-cercle au milieu de laquelle émerge la petite ville de Tuoro. Pour eux, le défilé dont parle l’historien latin est celui de Borghetto. D’autres critiques, et parmi eux Magdoudal, ancien commandant du collège d’état-major de Sandhurst, qui a écrit un savant ouvrage sur les campagnes d’Hannibal, estiment que le défilé dont parlent les auteurs anciens est celui de Passignano et que la bataille fut livrée un peu plus loin, dans la direction de Pérouse. Cette opinion est contredite par la tradition populaire. On rencontre dans les environs du Monte Gualandro un grand nombre de lieux dont le nom rappelle le carnage des Romains. Un village se nomme Ossaia, une chapelle Sepulcraia, un ruisseau Sanguineto, et les paysans qualifient encore la plaine qui domine Tuoro de « Champs d’Hannibal. » Byron a recueilli la tradition :

« Un ruisseau à l’onde faible, au lit étroit, a emprunté son nom à la pluie de sang de cette fatale journée, et le Sangumelo