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terrain connu, les Phéniciens ne possédaient sur la topographie de l’Italie que des notions incertaines. Rome, enfin, pouvait subir, sans succomber, plusieurs défaites ; la fortune d’Hannibal était à la merci d’un revers.

« Quand on examine bien, dit Montesquieu, cette foule d’obstacles qui se présentèrent devant Hannibal et que cet homme extraordinaire surmonta tous, on a le plus beau spectacle que nous ait fourni l’antiquité. » Le fils d’Amilcar s’est placé, durant la seconde guerre punique, au nombre des cinq ou six hommes de guerre que l’histoire met au-dessus de tous les autres : la race sémitique n’a jamais produit de capitaine qui puisse lui être égalé.

Hannibal comptait sur lui-même, sur son esprit fécond en combinaisons stratégiques, sur sa connaissance des hommes, sa volonté de fer, son activité, son génie. L’armée de Flaminius, inférieure à la sienne, campait en Étrurie ; de l’autre côté de l’Apennin, Servilius surveillait toujours les approches d’Ariminum. A tout prix, il fallait éviter la jonction des deux corps. Permettre aux consuls, je ne dis pas de se réunir, mais de combiner leurs mouvemens, c’était courir au-devant d’un échec. Hannibal se promit d’écarter cette éventualité redoutable.

« Connaître les desseins et le caractère du consul, la situation du pays, les ressources que l’on pourrait se procurer pour les approvisionnemens, en un mot tout ce qu’il importait de savoir, écrit Tite-Live, fut pour lui l’objet d’un soin particulier. » Ces questions élucidées, il se met en route sans perdre un instant. Laissant l’armée romaine à Arezzo, il la tourne, la dépasse et se dirige délibérément sur Cortone.

Cette marche surprit Flaminius et le laissa perplexe. S’il fallait prendre au pied de la lettre les assertions de Tite-Live et des historiens favorables à l’aristocratie, le consul n’aurait été qu’un vulgaire politicien, enflé de présomption, digne de la défaite qui l’attendait. L’homme qui a donné son nom à une des grandes voies romaines n’était pas le premier venu, mais il se peut que les qualités requises pour diriger de grandes opérations militaires lui fissent défaut. Dans les élections populaires, alors comme aujourd’hui, l’intrigue a souvent plus de poids que le mérite, et c’est toujours une imprudence insigne que de confier aux hasards d’un scrutin la distribution de charges qui exigent des connaissances professionnelles. Flaminius méprisait le Sénat,