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LE LAC DE TRASIMÈNE

C’est par myriades que les touristes d’outre-monts envahissent l’heureuse Italie, entre novembre et mai. Les trains qui font le parcours de Florence à Rome, bondés de voyageurs, défilent sans se lasser devant Castiglione del Lago. Personne ne s’y arrête. Quelques curieux, attirés par la réputation de Pérouse et d’Assise, se détournent du chemin battu. Une demi-heure durant, la locomotive qui les entraîne s’attarde le long d’une nappe unie ou moutonneuse, bleue, verte, grise ou blanche selon la saison et l’humeur du temps. L’impeccable Baedeker est là pour leur apprendre, s’ils l’ignorent, qu’ils côtoient le lac de Trasimène. Ce grand nom, prononcé à l’improviste, fait battre le cœur de tous ceux qui ont quelque teinture de lettres. La figure d’Hannibal se dresse devant eux, impressionnante et énigmatique. Les plus cultivés évoquent les épisodes de l’antique tragédie, le clair récit de Polybe, la description éblouissante de Tite-Live, les alexandrins de Silius, les strophes de lord Byron…

L’histoire du monde présente à nos regards un fond monochrome sur lequel se détachent quelques points lumineux. L’époque des guerres puniques brille entre toutes les autres d’un éclat qui ne diminuera pas. Rien de ce qui s’y rattache ne nous laisse insensibles. Pourquoi ? D’abord, parce que des hommes singuliers, Caton le Censeur, Fabius Maximus, Scipion, Hannibal entrent en scène. Ensuite et surtout, parce que de l’issue de la lutte engagée dépendait la destinée de l’univers.

La question n’était pas de savoir qui l’emporterait de Rome ou de Carthage. Ce qui était en jeu, c’était la suprématie d’une